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comme ses dépêches à son frère le grand-duc de Toscane ; on assiste à ce qui se passe dans l’intérieur des coulisses. Il fallait avant tout écarter, annuler le Farnèse, que l’Espagne appuyait ostensiblement et dont Olivarès, son ambassadeur à Rome, organisait d’avance la victoire. A l’intrigue on opposa l’intrigue. Ferdinand de Médicis et son ami le cardinal d’Este, tous les deux acquis à la France, imaginèrent de surprendre le vote, convaincus que, dans l’état des esprits, la procédure accoutumée ne donnerait pas à leur candidat la majorité des suffrages.

Le matin donc du 15 avril 1589, les cardinaux étant rassemblés dans la chapelle Sixtine, Este s’écria soudainement : « Inutile d’aller aux voix, le pape est élu. Allons tous à l’adoration ! » Aussitôt ceux qu’il a gagnés se jettent aux pieds de Montalto en l’acclamant, les incertains suivent entraînés, et les opposans n’ont qu’à s’incliner devant le fait accompli. La comédie était jouée : la part du Saint-Esprit y fut de peu et de beaucoup celle de la politique.

L’avènement de Sixte-Quint sauva l’Europe de la monarchie universelle et la France du démembrement. Ce grand pape n’aimait point l’Espagne, il détestait surtout Philippe II, haine très compliquée, très emmêlée de fils divers et dont un Machiavel pourrait seul débrouiller la trame. Olivarès, parlant de lui à propos de l’expédition de l’Armada, écrivait à son maître : « Je le trouve tiède dans l’expression de son contentement quand les nouvelles sont bonnes et médiocrement affligé quand elles sont mauvaises. L’envie que lui cause la grandeur de Votre Majesté et la peur d’avoir à donner son argent le préoccupent bien autrement que le salut de l’église et que l’extirpation de l’hérésie. Son idée en vous promettant des subsides était que jamais l’expédition n’aurait lieu. Aussitôt que les affaires de Votre Majesté commencent de mal tourner, sa morgue s’enfle, il me met le couteau sur la gorge et perd de vue que toutes les tribulations infligées à Votre Majesté sont autant de défaites pour le saint-siège et pour la gloire de Dieu. »

Sixte-Quint, en effet, n’a qu’un fantôme : la grandeur néfaste de l’Espagne ; sa politique est celle du petit contre le grand, contre l’énorme, politique de petit prince, entendons-nous, et toute au gré du temporel ; l’autre est l’éléphant, lui la mouche : il ne veut pas être avalé, ce qui, dans le moment, nous préservait, nous, de la ruine et préparait à ses successeurs les arrogantes altitudes de Louis XIV. Olivarès devinait juste ; l’intérêt de l’église eût été au contraire de se ranger du côté du roi Philippe, d’exterminer les protestans et d’établir la monarchie universelle sous les auspices du catholicisme universel. Au lieu de cela, que fait le pape, ce grand pape ? Il oublie le ciel pour la terre, il se ligue avec un Henri de Navarre, une Elisabeth d’Angleterre, un Guillaume d’Orange, sachant bien où cette