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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/155

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politique l’engage, mais incapable de subordonner le monarque au prêtre. Comme Français, ne nous en plaignons point, disons plutôt : Felix culpa. C’est le sceau fatal, énigmatique de la double couronne que celui qui la porte devra toujours forcément en renier l’un des deux attributs : ou le roi tuera le moine, ou le moine tuera le roi ; d’un côté, Sixte IV, Innocent VIII, Alexandre VI, Jules II, Léon X, les papes-rois, les guerriers, les artistes, les mondains, les libertins et les païens, tyrans superbes et cruels qui ne se distinguent que par le titre des autres princes et grands-ducs italiens ; de l’autre, les pasteurs d’âmes et chefs des croyans, les Paul IV et les Pie V.

Peretti, le valet de ferme et l’ancien gardien de pourceaux, fut le politique ; sa conception de l’équilibre européen lui vient de Florence et de Venise. Médicis, qui l’a pressenti, le pousse au trône, et plus tard, lorsque le vieux pontife, fléchissant sous les menaces d’Elisabeth, va se déclarer contre la France, c’est un Vénitien, Léonardo Donati, qui le retient en lui montrant de nouveau l’épouvantail de la monarchie universelle. On a reproché à Sixte-Quint son ingratitude à l’égard de notre cardinal ; ingratitude est un bien gros mot. Le pape aimait les Médicis et ne voulait pas de brouilles dans la famille ; quant aux services rendus lors de son élection, il ne les oublia jamais, pas plus qu’il n’oublia le coup de main que le grand-duc François lui donna dans la terrible expédition contre le banditisme. Les chroniques de Stendhal ne nous parlent que de cette plaie dont les états de l’église étaient infestés ; depuis Stendhal, nous avons eu Ranke et Hübner, et la grave histoire n’a rien ôté à ce roman de son pittoresque. Les bandits occupaient en maîtres le centre de la péninsule ; Rome et sa campagne, monts et bois, leur appartenaient ; du nord, du sud, ils pullulaient ; proscrits, malfaiteurs, aventuriers et sacripans, tous ayant leurs griefs et leurs ralliemens : ceux-ci, la haine de l’Espagne, ceux-là, l’horreur du prêtre et de son gouvernement, ce qui prête au tableau je ne sais quel faux air de garibaldisme anticipé, surtout lorsque la France protestante envoie des secours et que l’Italie se soulève indignée aux exploits de l’inquisition espagnole, — car il n’y a pas à dire, terreur ou sympathie, tout le monde est avec eux de connivence ; — le pape n’ose même plus faire exécuter un arrêt de mort. Il se sent menacé jusque dans sa capitale ; et de quel ton ses avances sont repoussées ! Un certain Mariaoazzo, à qui le pape accorde sa grâce, la refuse, « à cause, répond-il, de la sécurité plus grande que son existence de bandit lui procure. » César Borgia et Jules II avaient eu raison des hauts barons, l’honneur revient à Sixte-Quint d’avoir écrasé les bandits. Les cinq années de son trop court pontificat (1585-1590) lui suffirent pour arracher du sol romain la plante empoisonnée et pour achever une tâche qu’il accomplit avec