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inconsistant ; d’où le nom de « molasse » qui leur a été appliqué. Ces formations superposées ou intercalées couvrent la plaine suisse, qu’elles ont autrefois comblée. Elles s’étendent de la lisière des Alpes au Rhin et au Jura, et du Léman au lac de Constance, n’ayant au-dessus d’elles que le manteau superficiel des déjections glaciaires. Sur d’autres points, mais principalement au contact des Alpes et sur ses premiers gradins, la roche ordinaire fait place au « nagelfluh, » amas de cailloux de toutes formes, dimensions et provenances, réunis par un ciment marneux arénacé ou gréseux, qui varie suivant les localités et constitue parfois des masses énormes, comme au Righi, qui en est presque entièrement composé. Le nagelfluh consiste donc dans des amas d’élémens détritiques charriés, remaniés, et accumulés par les eaux qui sillonnaient la région des Alpes durant la période du soulèvement de cette chaîne qui, certainement, n’a pas surgi en une fois. On conçoit que les eaux courantes et torrentielles, descendues des nouvelles cimes, aient entraîné des débris, abattu les angles et les crêtes, émoussé les aspérités, déblayé les obstacles avant que leur lit définitif ait été établi. A en juger par les déjections qui s’accumulent sous nos yeux au pied des montagnes, on peut se faire une idée de l’immensité des détritus que le massif alpin a dû livrer à l’action des eaux avant d’être façonné par elles.

Le surgissement des Pyrénées est généralement placé à la fin de l’éocène, les lits de la molasse miocène se trouvant horizontalement étendus au bas de cette chaîne. Au contraire, la même molasse a été sensiblement disloquée au nord des Alpes et reportée parfois à une altitude considérable. Il est donc incontestable que c’est seulement après le dépôt de la molasse que les Alpes auront acquis la structure qu’elles ont encore et qui fait d’elles le système orographique dominant de l’Europe entière.

Le soulèvement des Pyrénées, en accentuant le relief, non-seulement de cette chaîne, mais de bien d’autres points du sol européen, eut pour contre-coup un affaissement corrélatif auquel correspondit un dernier retour de la mer ; c’est lui qui mit fin à la période lacustre ou « aquitanienne » dont nous venons de parler. — La mer molassique, dans son invasion, ne suivit pas exactement le tracé de la mer antérieure ou nummulitique. D’une façon générale, elle échancra plus largement le continent européen. Pénétrant par la vallée du Rhône, elle força l’entrée de la Provence intérieure et mit fin aux nappes lacustres qui parsemaient depuis longtemps ce pays. S’avançant entre le Jura et les Alpes, elle occupa la plaine suisse, réunie de nouveau en un seul bassin avec la vallée du Haut-Danube, ne laissant à sec en Austro-Hongrie que la chaîne des Carpathes, disposée en une île contournée en croissant. Au sud des Alpes, elle couvrit la vallée entière du Pô et presque toute l’Italie centrale.