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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/197

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Heer avait été frappé de l’importance de l’élément américain dans la flore molassique. Il n’était pas question de vagues analogies ; mais une foule d’espèces dominantes et caractéristiques de la molasse se trouvaient avoir des « homologues » ou correspondans directs, exclusivement propres à l’Amérique septentrionale, tandis que l’Europe actuelle, et même l’ancien continent, ne possédaient plus ces types végétaux, sinon à l’état fossile. Il en était notamment ainsi du séquoia de Californie, du cyprès chauve de la Louisiane, du sabal ou palmier-parasol des Antilles, du tulipier, du platane, de plusieurs érables et peupliers, dont les formes fossiles européennes reproduisaient l’apparence comme si elles eussent été tracées sur le modèle des formes américaines actuelles. Heer a vu dans ces rapprochemens, qui impliquent une communauté d’espèces répandues à la fois dans les deux pays à un moment donné des siècles antérieurs, l’indice d’anciennes connexions territoriales ; mais par où l’Europe et l’Amérique auraient-elles ainsi communiqué ? — Heer, dans sa Flore fossile tertiaire et, plus tard, dans le Monde primitif de la Suisse, a exposé les raisons qui lui faisaient croire que ce continent de jonction avait été l’Atlantide, dont les Canaries, Madère, et les Açores ne seraient qu’un reste et la tradition mentionnée par Platon un dernier souvenir. L’homme primitif aurait assisté à la disparition au sein des flots de l’Atlantide, graduellement submergée. Mais, si l’on est assuré, par l’extrême ressemblance des forêts canariennes avec celles de l’Europe pliocène, de l’attenance de notre continent avec les îles de l’océan, l’hypothèse d’une Atlantide allant rejoindre l’Amérique du Nord à travers l’espace maritime interposé a perdu toute vraisemblance depuis les derniers soudages, qui ont révélé d’immenses profondeurs là justement où l’on aurait dû rencontrer, à une faible distance de la surface, les vestiges de la région récemment engloutie. La solution préférée par Heer semble donc devoir être abandonnée ; mais il est curieux d’observer que celle qui tend à prévaloir et qui consiste à faire arriver du Nord les espèces distribuées à travers les continens de l’hémisphère boréal, n’a pu s’établir qu’à la suite des travaux de Heer sur l’ancienne végétation polaire. Nous mettrons ce fait en lumière lorsque nous rendrons compte de ces travaux. C’est donc toujours à lui que l’on doit avoir recours, alors même qu’il est nécessaire de substituer une vue plus juste, réalisant un progrès réel, à une théorie devenue insuffisante. Cette façon de fournir des armes contre soi, à la faveur de ses propres découvertes, est encore, de toutes les manière de se tromper, la plus noble et la plus féconde en résultats définitifs.

Heer a professé une opinion fort tranchée au sujet de l’époque