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glaciaire, dont il a longuement décrit la marche et analysé le caractère dans le Monde primitif de la Suisse. Peut-être n’a-t-il pas assez compris que, placé en observateur au pied des plus grandes alpes, au centre de la région où le phénomène glaciaire avait agi avec le plus d’intensité, il était moins à même d’en apprécier les épisodes secondaires et les phases partielles que d’autres explorateurs plus à l’écart, mais plus à portée aussi de saisir la perspective des événemens et l’ordre relatif de leur succession. D’Archiac a fait cette remarque curieuse que le célèbre Saussure, en dépit de son génie actif, en s’attachant aux masses les plus grandioses des chaînes alpines, n’avait pu réussir à déterminer les véritables lois de la stratigraphie, comme le firent plus tard ceux qui, plus modestes, abordèrent, en Angleterre et en France, l’étude des lits en place, qu’aucune dislocation n’avait encore fracturés.

En Suisse, la formation glaciaire encombre toute la scène et ne laisse presque aucune place aux autres élémens d’appréciation d’une période qui, selon la pensée d’E. Lartet, au lieu d’être, « comme bien des esprits persistent à l’envisager, une transition critique et violente, a vu se développer des milliers de générations successives de ces mammifères qui peuplent encore notre Europe, associés à d’autres qui depuis ont abandonné notre sol. » Le remplacement graduel de l’éléphant méridional et du rhinocéros à narines minces par l’éléphant antique et le rhinocéros de Merk, s’éloignant à leur tour devant le mammouth et le rhinocéros à narines cloisonnées, ces substitutions toujours ménagées dans les alluvions quaternaires de Paris, dans le Forest-Bed de la côte de Norfolk, aussi bien que dans les formations synchroniques du midi de la France et du Val d’Arno, en Italie, démontrent bien que les changemens qui s’opérèrent alors dans le climat et dans la faune se firent par enchaînement et furent exempts de soubresauts. La flore elle-même, prise dans son ensemble, ne s’appauvrit que peu à peu et elle conserva jusqu’à la fin, c’est-à-dire jusqu’au retrait des glaciers, assez d’opulence pour procurer à des herbivores comme les éléphans et les rhinocéros les quantités de nourriture qui leur sont nécessaires en toutes saisons. C’est, en définitive, sur d’assez faibles indices, appuyés d’observations purement locales, que Heer en est venu à supposer l’existence d’une période « interglaciaire, » sorte de retour momentané à une température clémente, favorable au développement des animaux et des plantes. Pendant cette période supposée, les glaciers et le froid, après avoir envahi l’Europe, auraient reculé momentanément pour réaliser ensuite un nouveau mouvement offensif. Rien ne justifie à nos yeux une pareille hypothèse, dès qu’au lieu de la