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que les partisans de l’évolution se sont toujours défendus de soutenir. La transformation darwinienne a pu être lente ou relativement rapide dans ses effets ; elle s’est manifestée dans une mesure très inégale selon les êtres que l’on considère et, parmi les espèces, les unes, flottantes et variables, ont donné lieu à des races plus tard converties en types définitifs ; tandis que les autres, une fois fixées, sont demeurées sans changement, incapables de se modifier à l’avenir, destinées à vivre plus ou moins longtemps, mais destituées de la faculté de donner naissance à une postérité. — Les cèdres, les séquïoas, les tulipiers, les magnolias, arrêtés depuis des myriades de siècles dans leurs traits décisifs, sont demeurés à peu près invariables. D’autres types plus plastiques, tels que les pins et les chênes, sans sortir d’un cadre déterminé, ont cependant produit des races locales plus ou moins différenciées et continuent sous nos yeux à présenter des sous-espèces. Il en est d’autres encore, les botanistes le savent bien, qui varient sans trêve et sans mesure, tout en ne constituant pas des espèces au sens propre du mot, c’est-à-dire auxquelles il soit possible d’assigner des limites. La prétendue fixité des espèces est donc une illusion et un trompe-l’œil. On se paie de mots en la proclamant, et ce qui le prouve plus que tout le reste, c’est que Heer lui-même, observateur sagace, admettait « une refonte » soit partielle, soit totale. Sa formule, exclusive au premier abord, correspond en dernière analyse à un aveu des effets de la variabilité que les transformistes traduisent par le terme d’évolution, en les considérant comme une propriété de l’être organisé, pour lequel le changement constitue une sauvegarde vis-à-vis des conditions extérieures, elles-mêmes sujettes à changer.

Bientôt nous suivrons Oswald Heer sur un plus vaste théâtre et sur un horizon plus étendu que ceux de sa terre natale. Nous le retrouverons aux prises avec les mystérieuses profondeurs des pays arctiques, jusqu’à lui inaccessibles à la science. Là aussi ses puissantes facultés, sa lucidité, sa persévérance dans le travail, sa méthode analytique sûre et pénétrante, le guideront et lui feront, comme à Colomb, découvrir un monde nouveau, le passé des régions circumpolaires.


G. DE SAPORTA.