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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/23

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partagé par toute la France. Dès que cette guérison, que sa piété trouvait miraculeuse, se fut confirmée de manière à convaincre les plus incrédules, ce fut dans les rangs de la nation une explosion de joie qui tenait du délire. Il semblait que la patrie était sauvée parce que le roi était conservé. La satisfaction publique se manifesta sous toutes les formes : Te Deum, feux de joie, illuminations dans toutes les villes, cantates sur tous les théâtres, hommages de félicitations en prose et en vers, qu’on faisait passer par centaines sous les yeux du convalescent. On s’abordait partout dans les rues sans se connaître pour se communiquer l’heureuse nouvelle. « Qu’ai-je donc fait, disait le roi lui-même surpris, pour être aimé ainsi ? » Et dominé encore par la sérieuse impression de la mort, il promettait de reconnaître tant d’affection et de la mériter même en prenant, dès que ses forces seraient revenues, le commandement de l’armée qui devait délivrer la France, a En attendant, faisait-il dire au maréchal de Noailles, n’oubliez pas que c’est pendant que Louis XIV était mourant, que le prince de Condé a gagné la bataille de Rocroi. »

Noble langage et souvenir plein d’à-propos. Malheureusement, on allait se convaincre que Noailles, général sage et que l’expérience avait rendu timide, n’avait ni l’audace juvénile ni le génie de Condé[1].


II

La déclaration portée à Vienne par le ministère prussien y avait causé, en même temps qu’un trouble bien naturel, une surprise qui l’était moins, car les préparatifs faits depuis six mois déjà par Frédéric pour mettre son armée sur le pied de guerre étaient si appareils qu’il fallait, en réalité, se fermer les yeux pour ne pas les voir. Mais telle était la confiance de Marie-Thérèse dans son droit et dans sa fortune et tel aussi son désir de n’interrompre, à aucun prix, son opération agressive contre la France, que, jusqu’au dernier moment, elle n’avait pas voulu croire à la réalité de ces menaces. C’était, pensait-elle, un jeu de Frédéric pour l’intimider et la décider à entrer en relation avec l’empereur en lui restituant la Bavière : « Ne vous inquiétez donc pas tant de la Prusse, écrivait-elle au général Traun, qui commandait l’armée du Rhin avant la venue du prince Charles. C’est sans doute un ennemi dangereux, mais Dieu est avec nous…

  1. Mémoires du duc de Luynes, t. VI, l, c, — Mémoire attribué à Richelieu et communiqué par M. de Boislisle.