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au droit d’intervention, d’avoir aliéné la liberté de notre politique, d’avoir livré d’avance les intérêts des créanciers français de l’Égypte, que l’Angleterre se dispose à pressurer. M. le président du conseil aurait tout sacrifié au plaisir de rentrer dans les affaires d’Egypte et de se montrer l’ami, l’allié de l’Angleterre ! C’est beaucoup dire ; peut-être s’est-on montré bien sévère. Assurément, cet accord récemment conclu n’est point un succès brillant. La France n’a pas reconquis ce qu’elle avait perdu, elle ne retrouve pas sa position privilégiée sur les bords du Nil ; elle aurait pu mettre moins de candeur dans son empressement, quelque mesure dans ses concessions. La question, après tout, est de savoir ce qui était possible dans les conditions d’abaissement et d’effacement où la politique française se trouvait placée depuis le jour où elle avait subi l’humiliation d’un aveu d’impuissance, d’une abdication imprévoyante dans les affaires de l’Égypte. Ce droit d’intervention qu’on regrette, la France a pu l’exercer un jour utilement, avec profit pour elle comme pour l’Égypte, et elle a laissé les Anglais aller seuls au Caire ; ce condominium auquel elle a été associée, elle l’a laissé périr. Ceux qui ont décidé de sa politique ce jour-là lui ont infligé cette épreuve de n’avoir plus qu’un rôle diminué, difficile dans une contrée où, depuis près d’un siècle, elle n’avait cessé de paraître avec éclat, avec une autorité bienfaisante. Après ce qui s’est passé il y a deux ans, on ne pouvait évidemment prétendre rétablir une situation qui a cessé d’exister par l’intervention anglaise. — Mieux valait alors, dira-t-on, continuer à s’enfermer dans une complète réserve, s’abstenir de prendre part à une délibération diplomatique et laisser les Anglais aux embarras de leur prépotence. Cette politique négative d’abstention et de bouderie pouvait n’être pas sûre pour tout ce qu’on veut sauvegarder, et, sans réparer les fautes du passé, elle risquait de compromettre l’avenir. À défaut de ce qu’on a perdu par une désastreuse défaillance de politique, ce qu’il y avait de mieux encore, c’était de s’attacher aux résultats possibles, de chercher une force dans ces souvenirs, dans ces traditions, dans ces intérêts nombreux que la France représente sur les bords du Nil, pour réserver l’avenir, pour assurer à l’Égypte des conditions suffisamment préservatrices.

Ce qu’on a obtenu ne répond pas à tous les vœux, c’est possible. Il faut cependant s’entendre. N’est-ce donc point un fait sérieux qu’une puissance comme l’Angleterre se liant par un acte synallagmatique devant l’Europe, désavouant toute arrière-pensée d’annexion ou de protectorat, acceptant sous la forme diplomatique le principe d’une occupation limitée, s’engageant à faire consacrer la neutralisation de l’Egypte, la liberté du canal de Suez ? Une parole ainsi donnée est une garantie, et à ceux qui s’étudiaient à en atténuer la valeur par toute sorte d’interprétations subtiles M. Gladstone répondait tout récemment avec fierté que, si l’Angleterre pouvait être soupçonnée de vouloir se