Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/25

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

porte du ministre de Prusse pour éviter que sa vie ne fuit compromise dans un tumulte populaire[1].

Marie-Thérèse seule, quoiqu’en réalité aussi déçue, et peut-être même plus que tout autre (car la faute qui causait le péril lui était particulièrement imputable) ce perdit pas son sang-froid. De gré ou de force, elle dut bien reconnaître enfin que le seul parti à prendre était de rappeler immédiatement le prince Charles, en lui recommandant même assez de diligence pour éviter tout engagement avec l’armée française et ramener la sienne intacte de l’autre côté du Rhin. Mais en donnant, de sa propre main, l’ordre qui contenait en réalité l’aveu de son imprudence, elle y joignait une instruction détaillée sur la manière dont cette évacuation devait s’accomplir, pour ne pas laisser absolument sans défense les possessions autrichiennes qui bordaient la rive droite du Rhin et où on pensait que le roi de France porterait son attaque s’il trouvait ses propres provinces délivrées. C’était elles en réalité, fait remarquer d’Arneth, qui paraissait seule avoir conservé l’intelligence et le souci des détails militaires. Les mesures prises, elle résolut de se mettre immédiatement en route pour Presbourg, où sa venue était déjà annoncée et où elle se proposait de faire un nouvel appel au dévoûment inépuisable de ses fidèles Hongrois. Sa présence y était de nouveau nécessaire ; « elle seule (disait un écrivain anglais du temps) pouvant faire régner l’union dans cette nation travaillée par tant de divisions, car elle avait l’art de faire du moindre de ses sujets un héros dévoué à sa cause[2]. »

Le prince Charles, aussitôt l’ordre reçu, se mit en devoir de l’exécuter. Il abandonna successivement ses positions, d’abord Saverne, puis Haguenau, reculant toujours dès qu’il pouvait craindre que le maréchal de Noailles, qui s’avançait, vînt à l’atteindre. Sa préoccupation unique était de ne pas engager d’action, persuadé (dit le procès-verbal du conseil de guerre qui fut tenu a cette occasion) que de la conservation de son armée dépendait celle des états héréditaires de la maison d’Autriche et qu’une victoire même, accompagnée, comme elle le serait, de pertes inévitables, pourrait tout compromettre. Par la même raison, Noailles devait à tout risque et à tout prix chercher le combat. La célérité de la marche, la vigueur de l’attaque, n’avaient jamais été plus nécessaires. Par malheur, les premiers indices du mouvement de retraite des Autrichiens lui parvinrent en même temps qu’il recevait de Metz les bulletins les plus alarmans et presque désespérés de la

  1. D’Arneth, t. II, p. 556-557.
  2. Ibid., p. 416, 421.