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maréchal de Coigny de commencer le mouvement des troupes vers Fribourg et de préparer les opérations du siège, « Mon gros Valori, écrivait Frédéric en apprenant ces irrésolutions si pauvrement terminées du ministère français, nous prendrons Prague, mais vos Français ne feront que des sottises. »

Restaient encore plusieurs points, et des plus importans, à résoudre. D’abord, le roi partirait-il avec son armée et irait-il encore prendre part aux travaux de ce siège ? Nouveaux débats sur ce point, et des plus vifs. Toute la faculté médicale poussait des cris à la seule idée de voir compromettre, par une nouvelle épreuve, une santé aussi précieuse, sauvée par miracle et encore chancelante, et, naturellement, les amis de Mme de Châteauroux faisaient chorus, pressés qu’ils étaient de ramener le roi là où il aurait la facilité et, par là même, la tentation de se rapprocher d’elle. Richelieu pourtant (il s’en est du moins beaucoup vanté par la suite) ne fut point de ceux qui le conseillèrent dans le sens de la faiblesse. S’il faut l’en croire, le roi, décidément fatigué à la fois de l’héroïsme et de la vertu, ne lui cacha pas son désir de revoir sa maîtresse : « Avant de la revoir, lui répondit-il, faites ce qu’elle vous aurait conseillé et ce que Gabrielle aurait conseillé à Henri IV. » Et ce serait là-dessus que le roi, reprenant courage, aurait annoncé son départ pour le lendemain. L’anecdote, bien que rapportée par une amie très intime du duc, ne mérite qu’une médiocre confiance, car elle se ressent trop du ton de vanterie habituelle à un personnage qui, toute sa vie, a toujours voulu que tout ce qui se passait, en fait de bien comme de mal, de vice comme de vertu, fût attribué à son influence. Rien ne prouve d’ailleurs que Louis XV, à ce moment, bien qu’intérieurement travaillé de désirs et de regrets, eût pris le parti de se donner un nouveau démenti et fait le calcul d’une rechute préméditée. Ce qu’il y a de certain seulement, c’est que, s’il ne recherchait pas encore les sociétés illicites, il était déjà fatigué des légitimes, car, la reine lui ayant demandé la permission de l’accompagner jusqu’à Strasbourg : « Ce n’est pas la peine, » lui dit-il sèchement, et il lui enjoignit de retourner à Versailles après avoir fait visite à son père à Lunéville[1].

Le roi partait donc ; mais qui allait l’accompagner ? qui devait commander sous lui et sous ses ordres, ou plutôt pour lui et en son nom ? Serait-ce Belle-Isle, qui pouvait s’y attendre, tant son nom était fréquemment prononcé dans toutes les lettres du roi de Prusse ? Serait-ce Noailles, en vertu du droit de sa charge officielle ?

  1. Fragmens des Mémoires de la duchesse de Brancas. — Mémoires de Luynes, t. VI, p. 82.