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favori. « La maîtresse en exercice, » Mme Dœnhoff, était très aristocrate et craignait de se mêler de politique. « La maîtresse douairière, » Mme Rietz, qui s’en mêlait, était « au dernier degré d’exaltation contre-révolutionnaire. » « Un jeune Français, ajoutait Custine, prenait le soin particulier de la confirmer dans ces dispositions. » Quant au favori, Bischoffswerder, c’eût été peine perdue de chercher à le gagner. L’alliance autrichienne était son ouvrage et la condition même de son influence. « Supposé qu’il soit vénal, ce que j’ignore, si nous lui offrons de le payer, ce sera pour embrasser un parti qu’il déteste contre un parti qu’il aime et qui lui rapporte également. Il faudrait être bien gauche pour lui donner ainsi une tentation d’être honnête homme ou l’occasion facile de s’en donner l’air à si bon marché. » Mirabeau avait posé en axiome que tout se pouvait acheter à Berlin : « Que ne peut l’argent dans une maison si pauvre ? » L’argent n’y pouvait rien pour Custine : on l’excluait du marché. Il y avait un cordon de police autour de sa maison. « Les moyens que tous les diplomates du monde emploient pour se faire écouter ou être informés de ce qui se passe, et dont tous les ministres résidans à cette cour se servent avec plus de succès et plus généralement qu’ailleurs, me sont interdits. » S’il essayait, il se ferait surprendre avec scandale, puis éconduire avec éclat. Il fallait laisser passer l’orage. Si la France résistait à l’agression et démentait le calcul des favoris, Frédéric-Guillaume reviendrait de son erreur. « Ils reconnaîtront que combattre contre nous, c’est combattre contre eux-mêmes et qu’ils seront ruinés de notre ruine. » Pour les dégoûter de l’alliance autrichienne, il suffisait de les en laisser faire l’épreuve. La force des choses les conduirait à se réconcilier avec nous. Il était dangereux et prématuré de les en solliciter en ce moment, mais il convenait de leur en ménager le moyen. « Évitons, concluait Custine, ce qui dans une rupture pourrait aigrir et aliéner trop fortement deux états que la nature destine à se rapprocher. »

Il n’y avait donc point à parler d’alliance. Custine en était convaincu, et il en eut la preuve trop manifeste, lorsqu’après avoir reçu les instructions de Dumouriez, il en alla conférer avec M. de Schulenbourg, l’un des ministres chargés des affaires étrangères[1]. Custine lui représenta que l’intérêt des puissances commandait la paix, « Si l’intérêt doit être compté, répondit Schulenbourg, l’honneur des couronnes doit l’être aussi, et cet honneur est blessé par vos provocations, vos demandes d’explications péremptoires, accompagnées de menaces et présentées comme des

  1. Rapport de Custine du 1er avril 1792.