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les représentent avec éclat. Un parallèle grossier et superficiel, mais par là même à la portée du plus grand nombre, décide alors, dans un sens ou dans l’autre, le courant de l’opinion populaire. Sous ce rapport, dans le grand conflit qui s’engagea au XVIIIe siècle entre l’incrédulité et la foi, l’Allemagne chrétienne fut mieux partagée que la France. Car si Frédéric prêtait à l’ascendant croissant de l’irréligion l’appui de la puissance doublée du génie, en face de lui la foi mâle de Marie-Thérèse s’offrait à tous les regards dans une auréole de gloire et de vertu, et nul n’avait à rougir de servir avec elle le Dieu qu’elle invoquait. Mais quel est en France le croyant qui aurait osé lever les yeux sur la royauté très chrétienne personnifiée dans Louis XV ?


J’arrête ici, pour le moment du moins, la suite de ce récit, qui ne pourrait être continué sans aborder une phase entièrement nouvelle de l’histoire de cette longue guerre. Une seconde lutte est engagée entre Marie-Thérèse et Frédéric, une seconde alliance conclue entre la France et la Prusse ; mais, bien que les parties intéressées dans le conflit soient les mêmes, le rôle des acteurs, dans ce second acte du même drame, va prendre un aspect tout différent. Un événement qu’on pouvait déjà prévoir, la mort prématurée de Charles VII, en élevant Marie-Thérèse à la dignité impériale sous le nom du grand-duc son époux, lui confère des droits qui n’appartenaient pas à la reine de Hongrie et qui, exercés par sa main vigoureuse, altèrent à son profit tout l’équilibre des forces dans l’empire. Par suite de ce changement, qui n’est pas seulement nominal, la France, détournée du but primitif de ses efforts, puisqu’elle ne peut plus prétendre à disputer la couronne de Charles-Quint à ses descendans, s’éloigne de l’Allemagne pour ne plus chercher la puissance autrichienne qu’en Italie, et l’Angleterre sur mer et dans les Pays-Bas. Le champ du combat s’élargit ainsi et s’étend à toute l’Europe ; en même temps, toutes les positions étant prises et toutes les puissances entrant en guerre à la fois, la parole est surtout aux événemens militaires, et les relations diplomatiques perdent de leur intérêt et de leur importance. C’est un tableau bien différent de celui qui a passé sous nos yeux, et, pour le mettre dans tout son jour, d’autres couleurs seraient nécessaires, peut-être la main d’un autre peintre.


Duc DE BROGLIE.