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dignité royale, l’indignation contre le vice et la pitié pour le malheur.

Mais ce qui a contribué, plus que toute chose, à envelopper l’ensemble des faits dont Metz avait été le théâtre dans un blâme rétrospectif, ce fut la précipitation scandaleuse avec laquelle on vit Louis XV, à peine rendu à la vie, se plonger de nouveau dans les désordres que, de sa bouche mourante, il avait si sévèrement condamnés. C’est ce honteux lendemain qui a jeté son reflet sur la veille. Louis XV, corrigé, rappelé au sérieux de la vie par les avertissemens de la mort, métamorphosé, comme Shakspeare nous dépeint Henry V d’Angleterre, ou comme le fut notre Charles VII après Jeanne d’Arc, eût donné un exemple respecté de tous et fait honneur à la grande autorité morale qui aurait su réveiller sa conscience et lui faire souvenir qu’il était roi. Mais quand on le vit plus humilié de son repentir que de sa faute, quel est même le chrétien sincère qui put regarder sans dégoût une dévotion intermittente née de la peur et disparaissant avec elle, et l’espoir du salut éternel négocié au rabais par un ignoble marché de la dernière heure, toujours résiliable et conditionnel ? Rien n’était moins conforme à ce que l’église enseigne sur les conditions de pardon et les effets de la grâce ; mais rien aussi n’était plus propre à exposer l’église elle-même aux plus fâcheuses méprises et aux comparaisons les moins avantageuses. La philosophie eut beau jeu à chercher dans son histoire, pour l’opposer à un tel spectacle, l’exemple rare (mais qui n’est pas introuvable) du petit nombre de sages qui ont su s’attacher au bien durant le cours de leur vie et rester fermes devant la mort sans être soutenus par l’attente d’une récompense dans l’immortalité.

On mesurerait donc difficilement le tort que, dans cette triste journée, comme dans tout le reste de son existence, Louis XV a fait à la religion, dont il conservait le culte extérieur en violant tous ses préceptes. Sans doute, c’est une très fausse manière d’apprécier les doctrines morales et religieuses que de les juger par les vices ou les vertus qu’elles inspirent aux puissans de ce monde qui les professent, — car le pouvoir, à lui seul, est un grand corrupteur, et aucun principe ne suffit pour donner à toutes les âmes la force de résister à ses séductions. Il y a eu peu de chrétiens édifians et encore moins de philosophes austères parmi ceux qui ont porté la couronne. Il faut bien se souvenir, pourtant, que les exemples partis de haut sont ceux que la foule voit de plus loin : dans les temps où les esprits sont partagés entre des idées qui se combattent, le vulgaire, pour décider entre elles, jette volontiers les yeux sur ceux qui, placés en évidence par leur situation élevée,