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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/415

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d’autre part, que pour la constitution de la société destinée à exploiter le réseau méditerranéen, des ouvertures avaient été faites au gouvernement par un groupe de capitalistes piémontais et milanais, à la tête desquels étaient MM. Balduino, Bellinzaghi, Allievi et Fontana. Tous ces noms devinrent le point de mire des attaques les plus insensées : MM. Bastogi et Balduino auraient été des chefs de bandits, à la façon de Cartouche et de Mandrin, qu’ils n’auraient pas été l’objet d’accusations plus violentes et d’appellations plus grossières : tous deux avaient acheté le gouvernement et se préparaient à dévaliser le commerce et l’industrie, qu’on allait mettre à leur merci. Le pays tout entier serait la proie d’une poignée de spéculateurs sans vergogne. Aux passions envieuses se joignaient les rivalités locales et les intrigues politiques. Pourquoi, demandaient certains journaux, une aussi importante entreprise est-elle réservée comme par privilège aux capitalistes piémontais et florentins ? De quel droit les autres régions sont-elles déshéritées de toute part dans cette grande affaire ? Quel est le titre de Turin et de Florence à toutes les faveurs, tandis qu’on ne fait lien pour aucune des anciennes capitales, condamnées à déchoir de plus en plus ? Pour d’autres journaux, M. Balduino n’était qu’un homme de paille, derrière lequel se dissimulaient des capitalistes étrangers en quête d’un nouveau champ d’exploitation. Au mois de septembre, M. de Rothschild, dans une excursion en Italie, rendit visite au président du conseil, en villégiature à Stradella. Plus de doute, le puissant financier était allé porter le dernier coup à la probité chancelante du vieux libéral, et il lui avait acheté à beaux deniers comptans le droit de dépouiller la malheureuse Italie. Toutes ces attaques étaient vues sans déplaisir, si même elles n’étaient encouragées par les pentarques, c’est-à-dire par les cinq personnages de la gauche qui, à Naples, dans un banquet politique à grand fracas, avaient déclaré la guerre à M. Depretis, et qu’on accusait d’être prêts à se coaliser avec les partisans de l’exploitation par l’état, afin de renverser le ministère. Le mot d’ordre de la presse d’opposition, bien fait pour frapper les masses, était de répéter sans cesse : Si d’habiles gens sont désireux de se charger de l’exploitation des chemins de fer, c’est que cette exploitation sera lucrative, pourquoi n’en pas réserver les bénéfices au gouvernement, c’est-à-dire à la nation ?

La commission d’enquête avait prévu cette animosité contre les sociétés à former : en retraçant l’histoire des compagnies italiennes, elle avait constaté que la cause réelle de leurs embarras et de leur chute avait toujours été l’impossibilité d’obtenir du parlement, dominé par un esprit de mesquinerie et d’envie, des conditions