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vent n’apparaissent que pour doubler les instrumens à cordes dans les tutti… Rameau, abandonnant ce système, faisait faire des rentrées aux flûtes, aux hautbois, aux bassons, sans interrompre le jeu de la symphonie, donnant à chaque instrument une partie indépendante et distincte, assignant à chacun un rôle différent, faisant, en un mot, l’essai de ce qui s’est pratiqué depuis. »

Le génie de Rameau ne saurait toutefois se comparer à celui de Lully. Il y a dans l’auteur d’Armide des trouvailles de récitatif, des formules admirables comme Rameau n’en rencontra jamais. On sent trop dans sa composition, ce qu’il avoue d’ailleurs lui-même, que « rien n’est abandonné au hasard ; » mais sa pensée se développe mieux, grâce à des artifices nouveaux. Il ne craint pas d’user du genre fugué qui, à cette époque, faisait fureur en Allemagne, et d’employer la forme descriptive, tentative que ses prédécesseurs avaient jugée des plus hardies. Il veut faire imiter à l’orchestre les roulemens du tonnerre et le bruit des flots. Certes les moyens qu’il emploie sont peu compliqués ; nous avons le droit de les trouver enfantins ; mais leur grand mérite est dans la nouveauté, et, n’en déplaise aux adversaires de ce genre musical, ces préoccupations de l’effet n’en sont pas moins louables, parce qu’elles ont souvent amené de très beaux résultats, et qu’elles décèlent dans le musicien le souci de la vérité.

Ces qualités d’invention et de forme qu’Adolphe Adam a si bien analysées dans Hippolyte et Aricie, ces pages géniales, comme « le trio des Parques, » nous les retrouvons dans les autres opéras de Rameau, principalement dans Castor et Pollux. Le premier chœur des Spartiates, l’air si connu de Télaïre, l’acte tout entier des Enfers et l’air de Castor dans les champs Élysées nous en donnent la preuve. Le seul regret que l’on éprouve devant de pareilles œuvres, c’est que le musicien ait toujours sacrifié à la force, et qu’il n’ait pas compris, comme Gluck et Mozart, que le cœur se laisse aussi bien subjuguer par la tendresse et la douceur.

Nous abandonnons une bonne part du XVIIIe siècle à la gloire de Rameau. De longues années durant, le nouveau maître occupe avec Lully l’Académie royale, et obtient des triomphes comme Voltaire seul en connaissait à cette époque. Mais déjà la musique n’était plus l’art ou le divertissement de quelques privilégiés. Elle avait pris droit de cité en France, et s’était si bien insinuée dans les mœurs du pays que les philosophes crurent devoir intervenir. Passons outre à ce long épisode, encombré de querelles et de controverses sur un art que les plus habiles ne pouvaient juger que par leurs sentimens ; les contradictions de tous nos philosophes ont été si bien recueillies et appréciées que nous ne saurions y rien