Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/449

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

phrase mélodique qu’un accompagnement discret doit soutenir. » Toutes les voix de la scène, tous les instrumens de l’orchestre vont s’unir désormais pour donner plus d’expression aux sentimens et de force à la vérité dramatique, Que, Gluck ait parfois exagéré sa méthode en donnant simultanément des intentions différentes à l’accompagnement et aux voix, on serait d’autant plus mal venu à l’en blâmer qu’il en a tiré quelquefois de surprenans effets. Même, pour que tout soit indivisible dans l’œuvre, il veut que l’ouverture, si insignifiante jusque-là, prenne part à l’action, et, dans certains cas, il l’a si étroitement liée au sujet dramatique qu’on ne peut, sans la déformer, la jouer isolément. Pour le reste, c’est à l’auditeur de ne pas s’égarer au milieu de cette trame où parfois l’orchestre et le chant jouent un rôle divers. Faut-il rappeler l’exemple si connu, donné par Gluck lui-même quand on lui représentait comme un contre-sens musical l’air célèbre chanté par Oreste après les paroles ; « Où suis-je ? .. A l’horreur qui m’obsède, quelle tranquillité succède ? » Cet accompagnement agité, troublé par des syncopes, presque toujours en dissonance avec le chant, est, lui disait-on, en contradiction flagrante avec les paroles d’Oreste : « Le calme rentre dans mon cœur. » — « Non ! non ! s’écria le compositeur, il a tué sa mère ! »


III

Cette esthétique, on l’avouera, peut sembler spécieuse, et plus d’un a le droit de la contester ; c’est l’expression musicale portée jusqu’au symbolisme : aussi ne laissa-t-elle pas d’être vivement discutée dans le cours du XVIIIe siècle. Plusieurs écrivains s’acharnèrent contre elle. Contrairement à Rameau et à Gluck, ils se gardèrent d’accorder à la musique un pouvoir sans limites. Certains critiques lui refusèrent même toute faculté d’expression, et en firent un art distinct n’ayant pas d’autre objet que lui-même. Le problème offrait assez d’intérêt pour être approfondi. Les encyclopédistes y avaient travaille ; il nous revient aussi nouveau. Puisqu’on cherche à lui faire de nos jours une autre jeunesse, nous ne saurions l’écarter, car il se lie trop étroitement à l’esthétique des maîtres dont nous avons parlé.

Ainsi, tandis que musiciens et bon nombre de philosophes tenaient que la musique, indépendamment des paroles, peut exprimer divers sentimens, d’autres sont venus, et plus récemment en Allemagne, qui lui refusent de tels attributs et veulent qu’elle soit un art spécial, des plus nobles et des plus élevés sans doute, n’ayant pour objet que « le beau. » Convenons tout d’abord, et sans difficulté, que si de semblables théories nous