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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/454

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Rappelons, en terminant, que la doctrine en question est loin d’être nouvelle. La justice nous oblige à ne pas laisser à l’Allemagne toute la gloire de cette théorie, qui, par les atours séduisans dont on la revêt aujourd’hui, a beaucoup gagné à être rajeunie. Nous avons vu le critique viennois s’appuyer dans son livre sur un argument du Français Boyé, à propos de l’expression dans Gluck. Après lui, bon nombre d’esthéticiens et de philosophes n’ont pas manqué de reproduire le même exemple. Tous, il est vrai, négligent de nous dire ce que vaut l’opinion de cet écrivain. On en pourra juger en lisant une petite brochure, publiée en 1779, qui, elle aussi, fit grand bruit en son temps, et l’on appréciera si la distance est grande entre l’Essai de réforme de l’esthétique musicale de M. Hanslick, et le livre de Boyé sur l’Expression musicale mise au rang des chimères. Le grand mérite du critique viennois est d’avoir défendu sa thèse avec un goût incontestable, et un respect profond de l’art dont il parle. Lui, du moins, a foi pleine et entière dans la musique, puisqu’on la dégageant des vieilles superstitions du sentiment, il lui accorde le droit de s’élever jusqu’aux hauteurs infinies de la contemplation. Quant à l’écrivain français, puisqu’on semble tenir aujourd’hui à le faire revivre, disons en passant, que dans ce même ouvrage où il prend Gluck à partie, il s’attache à prouver que l’opéra est le plus ridicule des spectacles, que la musique la plus expressive est la plus ennuyeuse, et (que la seule vraiment digne de ce nom est la musique de danse.

Il resterait à parler de la période musicale contemporaine à la révolution. Nous y trouverions des musiciens de valeur, mais sortant presque tous de l’école de Gluck. Parmi les meilleurs disciples, on ne peut oublier Méhul. Tout le monde connaît les rapports étroits qui le rattachent à son maître, et lui donnent un rang parmi nos classiques. Mais il appartient à une époque dont on ne saurait s’occuper sans de nombreuses digressions. Il nous faut du reste compter désormais avec l’Allemagne. Haydn, Mozart et Beethoven viennent changer l’équilibre musical. Nous engager dans cette étude serait dépasser notre intention première, car nous ne voulions parler ici que des fondateurs de l’école qui, pendant plus d’un siècle, a rayonné sur l’Europe et préparé la voie aux plus illustres maîtres.


L. BRETHOUS-LAFARGUE.