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qu’il a mis toute sa diplomatie à éviter d’enfermer la révision dans des limites trop strictes. M. Gambetta, comme on l’a dit, a échoué il y a quelques années, dans son court ministère, parce qu’il a voulu préciser les points soumis à la révision et les solutions qui devraient être adoptées. M. Jules Ferry n’a été plus heureux aujourd’hui, — il n’a du moins décidé le vote — qu’en s’abstenant de préciser, en laissant la porte ouverte à toutes les propositions, à toutes les combinaisons, à tous les systèmes d’élection pour le sénat. Il a cru même devoir admettre que s’il n’y avait que quelques articles visés dans la résolution de la chambre, la révision ne pourrait pas moins s’étendre à d’autres parties de la constitution. La limitation est dans les discours, probablement dans les intentions de M. le président du conseil ; en réalité, tout reste vague et indéfini. — C’est possible, dira-t-on, c’était une nécessité pour enlever le vote au Palais-Bourbon ; mais c’est maintenant au sénat de compléter ou de rectifier ce que l’autre chambre a fait, de serrer de plus près la question, de préciser les résolutions en obtenant des garanties pour lui-même, pour son indépendance, pour sa dignité, pour ses prérogatives les plus précieuses. Il ne s’agit que de cela ! Seulement, par quelle voie et comment arrivera-t-on à déterminer ces garanties ? Quelle est sérieusement la forme de l’engagement qu’on peut demander à la chambre des députés ? Et, de plus, y eût-il un vote, en quoi un acte de la majorité d’aujourd’hui obligerait-il la majorité de demain et lierait-il les représentans du pays qui entreront dans le congrès, c’est-à-dire dans une assemblée souveraine, avec leur liberté, avec le droit de proposer ce qu’ils voudront, même une révolution, d’ouvrir la discussion sur tout, même sur l’existence de la république ? On parle de négociations, de conciliabules, de compromis qui obvieraient à tout, qui simplifieraient l’œuvre du congrès en traçant d’avance le programme de la représentation qu’on se promet de donner à Versailles. Conciliabules, négociations et compromis ne sont guère qu’un moyen de se déguiser à soi-même le danger de l’expérience dans laquelle on se jette les yeux fermés, avec une frivole imprévoyance.

Il faut s’en tenir à la vérité vraie, et cette vérité, M. Léon Say la montrait, il y a quelques jours, — dans la période du premier mouvement, — avec son bon sens, avec la sagacité de son esprit politique. La révision ne peut être proposée et acceptée que dans certaines conditions en dehors desquelles elle n’est qu’une puérilité ou un danger. Elle doit d’abord être opportune ; elle doit aussi être sérieusement limitée ; il faut enfin que les solutions qu’on propose soient acceptables. De ces diverses conditions quelle est celle qui est remplie aujourd’hui ? La révision n’est sûrement pas opportune ; non-seulement elle n’est pas réclamée par l’opinion, elle finit, au contraire, par être une importunité et une fatigue pour tout le monde. Elle n’est pas non plus limitée ; les discussions de la chambre des députés le