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faut pas perdre de vue que nous sommes dotés de la loi militaire la plus dure, la moins élastique, qu’il y ait en Europe, et tout ce qui permet de l’alléger doit être accueilli avec empressement. La mesure n’a rien de contraire à l’égalité démocratique, puisqu’aucune classe de la société n’est favorisée, le sort donnant à tous la même chance d’être absent moins longtemps de chez soi. La justice ne consiste pas plus à contraindre chacun de rester le même nombre d’années sous les drapeaux qu’à l’obliger de servir de la même manière. Puisque l’un est enrôlé dans l’infanterie tandis que l’autre entre dans la cavalerie et qu’un troisième ne sort pas des bureaux d’un comptable, on peut bien accepter aussi que Pierre reste cinq ans à la caserne tandis que Paul n’y fera qu’un séjour de six mois. Il serait même sage de faire une concession aux goûts et aux aptitudes particulières des jeunes gens et de leur permettre d’échanger entre eux les numéros que le sort leur a attribués. Ce serait une atténuation sans inconvéniens des rigueurs de la loi et un heureux ressouvenir du service volontaire.

Le service volontaire, que nous rappelons ici par opposition au service obligatoire, n’a rien de commun avec le volontariat d’un an, emprunté à la législation prussienne par la loi de 1872. Cette institution est considérée avec raison en Allemagne comme d’une haute importance, et elle y rend des services réels. En France, elle n’a nullement réussi. Rien ne montre mieux la différence qui existe entre les deux pays, tant pour l’esprit public que pour l’organisation sociale, et le danger de vouloir implanter dans l’un ce qui convient parfaitement à l’autre. On avait espéré que le volontariat fournirait de bons sous-officiers et serait même une utile pépinière d’officiers de réserve, il n’en a rien été. On a éprouvé l’inconvénient de confiner dans des positions subalternes des hommes de haut rang ou d’une instruction développée, inconvénient signalé avec force par le baron de Goltz. Le dévoûment et le patriotisme de ces hommes ne l’atténue en rien. Au contraire, ils souffrent de ce qu’on ne leur demande pas des services qu’ils se sentent en état de rendre et, s’ils observent la discipline matérielle, la discipline morale leur fait défaut. On ne pourrait d’ailleurs leur confier de prime abord des emplois militaires élevés, auxquels ils n’ont pas été préparés par leurs études. On n’a jamais songé à improviser un homme peintre ou architecte, sous le prétexte qu’il est bon avocat ou savant médecin ; pourquoi donc les connaissances littéraires ou scientifiques constitueraient-elles un titre au commandement des hommes ?

L’intérêt militaire n’est pas le seul à considérer. On ne peut pas désorganiser la société civile sous prétexte de la défendre ; entraver le développement des carrières libérales, rendre l’exercice