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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/598

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qu’on espère ainsi hâter la retraite des armées du sol français. » Cette confidence était peut-être, dans la pensée de Dillon, un moyen de décider les Prussiens à la retraite ; mais l’avis dépassait singulièrement la mesure, et des confidences de ce genre menaient à l’échafaud. Il n’y avait qu’une façon de concilier tous les devoirs : se battre et se taire. C’est le rude conseil que Danton donna au duc de Chartres[1]. La pente était trop glissante, et c’était le péril de ces entrevues. Dumouriez était trop avisé, trop maître de lui pour laisser échapper de ces paroles redoutables ; mais il avait, et comme général et comme diplomate, trop d’intérêt à continuer les pourparlers pour ne pas employer tout son art à tenir les Prussiens en haleine.

Il trouva dans Manstein un partenaire plein de zèle. Refusant de se rendre au camp prussien sous le prétexte que ses soldats s’y opposaient, il invita l’aide-de-camp du roi à venir le voir : « Nous causerons à fond sur les intérêts de deux nations faites pour s’aimer et être alliées. » Manstein dîna le 25 septembre à Dampierre, chez Dumouriez, avec Kellermann, Valence et les « deux princes Égalité. » Dumouriez démontra que le roi de Prusse serait nécessairement conduit à traiter avec la Convention. Manstein n’en écarta pas absolument la pensée et fit entendre que, « malgré la répugnance du monarque prussien, » de nouvelles propositions seraient probablement faites. Pour les faciliter, on résolut de négocier un cartel d’échange des prisonniers de guerre, et l’on arrêta que Thouvenot, l’aide-de-camp de confiance de Dumouriez, se rendrait, à cet effet, le lendemain au quartier-général prussien.

On s’y flattait alors des plus étranges illusions ; on croyait pouvoir gagner Dumouriez et, ce qui était plus invraisemblable, s’assurer le concours de son armée pour restaurer la monarchie. Brunswick se prononçait nettement pour les négociations. Les terrains étaient impraticables ; la cavalerie perdait ses chevaux, la dyssenterie continuait de sévir. On ne pouvait songer à une attaque nouvelle avant d’avoir reçu des renforts. Des bruits sinistres circulaient ; on assurait que des troupes arrivaient chaque jour à Dumouriez ; que des bandes de forcenés battaient le pays, rompant les communications, massacrant les soldats isolés. L’inquiétude était extrême. Ajoutez les nouvelles venues de Paris, la proclamation de la république et la menace d’une invasion des Français dans les pays du Rhin.

Lorsque, le 26 septembre, Thouvenot se présenta, il fut reçu par le duc de Brunswick. Le cartel d’échange fut signé sans difficultés ; puis on en vint aux affaires politiques. Thouvenot s’en tira avec

  1. H. Taine, la Révolution, II, p. 284.