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traiter qu’avec la Prusse seule ; mais, dans tous les cas, il ne faut pas consentir à l’ouverture d’un congrès pour des négociations suivies, qu’au préalable les troupes ennemies ne soient hors de notre territoire ; vous pourrez seulement convenir de quelques bases préliminaires, sous la ratification de la Convention, pour faciliter leur sortie de France. » Ainsi, dans le temps même où les Prussiens désiraient des négociations pour masquer leur retraite, le conseil exécutif leur offrait de négocier à la condition qu’ils se retireraient.


IV

Benoît et Westermann arrivèrent le 29 septembre au camp de Dumouriez. Ils y trouvèrent trois commissaires de la convention qui venaient y proclamer la république. C’étaient Prieur (de la Marne), Sillery et Carra. Prieur était un avocat, jacobin prononcé ; Sillery un ci-devant noble, ami du duc d’Orléans et mari de Mme de Genlis ; Carra, un journaliste, dont les violences se prêtaient à des compromis étranges : c’était lui qui avait lancé naguère l’idée d’appeler le duc de Brunswick au trône de France. Ni Carra ni Sillery n’étaient gens à redouter des négociations, voire à s’effaroucher d’une intrigue. Tous les trois d’ailleurs étaient sous le charme de Dumouriez. « Il fait, écrivait Sillery à Pétion, la plus belle et la plus savante campagne que la France ait jamais faite… Il n’y a pas deux partis à prendre : il faut donner à Dumouriez le grade de maréchal de France qui ôte tout prétexte de division entre les chefs ; lui seul a tenu tête à toutes les opinions différentes, et le résultat est qu’il a sauvé la France. » Rien, du côté des Français, ne s’opposait donc à ce qu’on entamât sérieusement les pourparlers. Benoît et Westermann se rendirent dans le camp prussien ; on les y accueillit avec force complimens ; on leur prodigua l’eau bénite de cour, qu’ils reçurent très poliment ; disposés comme ils l’étaient, on n’eut aucune peine à les amuser de vaines paroles et à les tenir en patience. C’était alors tout ce que voulaient les Prussiens.

Leur retraite commençait, et elle s’opérait dans des conditions désastreuses. L’ordre de marcher fut donné dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre[1]. L’armée s’ébranla tristement et lentement. Les bagages et l’artillerie s’encombraient et barricadaient les chemins. La troupe marchait à travers des champs d’argile rougeâtres, gluans, tenaces, coupés de flaques marécageuses.

  1. Voir Goethe, Journal de la Campagne de France ; les rapports de Nassau-Siegen, et les lettres de Lombard.