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canaux : l’artère et les veines pulmonaires, qu’ils appelaient d’autres noms. L’artère pulmonaire prend naissance dans la. moitié droite du cœur, au ventricule droit, et répand ses rameaux dans le poumon ; la veine pulmonaire y plonge ses racines et son tronc vient déboucher dans la partie gauche du cœur, à l’oreillette gauche. Ces dispositions étaient faciles à apercevoir : Galien les avait décrites chez le singe et plus tard elles avaient été vérifiées sur l’homme même. Mais ce que l’on ignorait encore, c’est que ces deux arbres, l’artériel et le veineux, se rejoignent dans le poumon, de telle sorte que les rameaux de l’artère s’abouchent directement avec les racines des veines. Ces communications étroites, qui forment le réseau capillaire pulmonaire, avaient échappé à une investigation trop grossière. C’est grâce à elles pourtant que le sang peut passer d’un système dans l’autre sans s’extravaser et se répandre dans le tissu. Il se rend ainsi du cœur droit au cœur gauche en exécutant une sorte de voyage circulaire à travers l’organe respiratoire, avec l’artère pulmonaire comme voie d’aller et les veines pulmonaires comme voie de retour.

Pour les anatomistes antérieurs à la renaissance, ce réseau intermédiaire n’existait pas : les deux arbres restaient isolés l’un de l’autre, chacun ayant son contenu propre, qui ne pouvait qu’osciller, de la racine au faîte. Les anciens comparaient ce prétendu mouvement de va-et-vient des vaisseaux au flot alternatif de l’Euripe. Dans le flux et le reflux de cet étroit canal qui séparait l’île d’Eubée de l’Attique et de la Béotie, Aristote voyait une image fidèle des déplacemens du sang dans les conduits qui l’enferment. La tradition avait perpétué cette comparaison de l’Euripe. A chaque instant, on la retrouve dans les ouvrages des anciens médecins, qui l’adoptaient comme une explication suffisante, et jusque dans le livre de Harvey, qui en a fait apercevoir la fausseté.

Aux temps dont nous parlons, on ne soupçonnait donc pas que ce fût le même sang qui, amené du cœur par l’artère pulmonaire, y revenait par la veine pulmonaire. C’était, croyait-on, deux liqueurs différentes : d’une part, le fluide sanguin nourricier de l’organe ; et, de l’autre, un singulier mélange de sang, de phlegmes, et enfin d’air destiné à rafraîchir le cœur. Et cependant on avait admis que le sang du cœur droit devait passer dans le cœur gauche, ce qui est parfaitement vrai. On l’avait admis pour des raisons chimériques inutiles à rappeler. Mais, au lieu que ce passage s’accomplît, suivant les paroles mêmes de Michel Servet, « par un long et merveilleux détour à travers le poumon, » Galien avait imaginé une communication plus directe. Il avait percé la cloison mitoyenne des ventricules, barrière infranchissable entre les deux cœurs, et, par ces orifices imaginaires, il expliquait le déversement de l’un à l’autre.