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Dans la réalité, il n’y a rien de pareil, ni chez l’homme ni chez les animaux adultes. Ces prétendus orifices, qui supprimeraient la nécessité du circuit à travers le poumon, n’ont plus de raison d’être dès que cet organe fonctionne, c’est-à-dire dès la naissance. Avant que l’enfant ait encore respiré, le poumon, reployé sur lui-même et imperméable, ne peut offrir libre passage au courant sanguin. Une disposition transitoire, qui disparaîtra avec la venue de l’enfant à l’air et au jour, permet donc au sang d’aller du cœur droit au cœur gauche à travers un orifice ménagé dans la cloison au niveau des deux oreillettes. Vesale, Arantius et Galien lui-même avaient vu et décrit ce trou, et cependant c’est Botal qui lui a légué son nom ; Botal, praticien piémontais, sorte de Sangrado qui dut sa célébrité à ce qu’il saignait à outrance les mêmes malades que la Faculté de Paris, comme le dit Flourens, purgeait sans pitié :

L’un meurt vicie de sang, l’autre plein de séné.

Mais cet orifice temporaire s’oblitère progressivement, et chez l’enfant, après dix-huit mois, l’on n’en retrouve habituellement plus de traces. La cloison mitoyenne des deux cœurs, dans toute son étendue, est continue et imperméable.

L’erreur de la croire percée dura treize siècles, depuis Galien jusqu’à Realdo Colombo et à Michel Servet. C’était là pourtant une méprise grossière. Le plus simple examen de cette cloison devait montrer qu’elle présentait des fossettes, mais qu’elle n’avait point de trous. Il suffisait au premier anatomiste attentif de regarder et d’en croire ses yeux. Mais c’était précisément cette confiance au témoignage des sens qui était, en ces temps, une extrême hardiesse. Galien régnait sur l’école. Sa parole exerçait une telle autorité que les observateurs qui avaient regardé cette cloison sans y voir la moindre perforation n’osaient pas contredire le « prince des médecins, » et aimaient mieux croire à l’erreur de leurs yeux qu’à l’erreur du maître. Mundini, en 1540, voit ces orifices qui n’existent pas ; Levasseur les voit aussi. Un maître célèbre, qui professait à Bologne en 1521, Bérenger de Carpi, convient qu’ils « ne sont pas bien visibles » chez l’homme ; mais, en revanche, il n’hésite pas à les reconnaître chez le bœuf et chez d’autres animaux de grande taille. Et, en 1551, Léonard Fuchsius, dans une sorte d’Epitome destiné aux étudians, parlant de cette cloison et des fossettes qu’elle présente : « Ces fossettes, dit-il, ne nous paraissent pas perforées, afin sans doute que nous soyons forcés d’admirer l’ouvrier de toutes choses qui fait passer par des trous inaccessibles à notre vue le sang du ventricule droit dans le ventricule gauche. » Mais on peut citer un fait plus significatif encore : le célèbre André Vesale, qui a