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vie même et qui échauffe toutes leurs parties. On voit quelle distance il y a de ces conceptions obscures à cette idée si claire et si vraie qui fait du cœur un appareil mécanique à la fois propulseur et directeur du sang.

Les artères, dans la théorie exacte de la circulation, conduisent le fluide nourricier du cœur aux parties : les veines le ramènent. Dans celles-ci, le courant gagne le cœur ; dans celles-là, il le fuit. Connaître ces différences de direction, c’est connaître à peu près la circulation. Si l’on sait que le contenu de l’artère est charrié vers l’organe et que le sang de l’organe est charrié vers le cœur, on possède les deux tiers du circuit, et il suffit d’un faible effort d’imagination pour le reconstituer en entier. C’est là en quelque sorte le nœud de la question : la notion du cours du sang tient ici, relativement à la circulation générale, la même place que la notion exacte de la cloison pour le problème de la circulation pulmonaire. Or ce n’est point Harvey qui a établi la vérité à cet égard, ce sont ses deux maîtres, André Césalpin et Jérôme Fabrice d’Acquapendente.

La figure de Césalpin a plus d’un trait de ressemblance avec celle de Michel Servet, qui était né dix ans avant lui. Il est, comme Servet, théologien et philosophe en même temps que naturaliste, attaché à la secte des averroïstes comme l’autre à celle des ariens ; il eut comme lui des démêlés avec l’inquisition, quoique la faveur du pape Clément VIII, dont il fut le médecin, ait protégé ses dernières années. Cependant, à l’inverse du personnage navarrais, il était plus attaché à la science qu’à la dispute religieuse et sa mémoire a été arrachée à l’oubli par d’immortels travaux botaniques. On a dit qu’avant Harvey, il avait compris la découverte de Realdo Colombo et qu’il avait su se l’approprier ; longtemps il la répandit à Pise et à Rome, où il professa la médecine. Et voici maintenant que nous allons le montrer tout près de découvrir à son tour la grande circulation et de cueillir les palmes que la postérité a décernées à Harvey.

Il est évident, dans la vraie doctrine de la circulation, que, si l’on vient à oblitérer une artère en un point de son trajet, le sang que le cœur lui envoie s’accumulera au-dessus de l’obstacle ; il s’amassera au-dessous s’il s’agit d’une veine. L’observation se présente d’elle-même toutes les fois que l’on pratique la saignée du bras. On serre, en effet, un lien au-delà du coude, afin que les veines, se gonflant au-dessous de la ligature, deviennent plus saillantes et plus accessibles à la lancette. Or on saignait déjà avant Galien, depuis Hippocrate ; on saignait beaucoup à la fin du XVIe siècle, et plus d’un médecin de cette époque eût mérité le