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cent mille hectares déjà disparus ? Il serait alors un peu tard, trop tard même, car la France ne serait plus assez riche pour supporter un aussi colossal effort. Les vignobles sont en général situés sur des terres impropres à toute autre culture, et toute plantation nouvelle exige une mise de fonds aussi considérable que la valeur intrinsèque du sol. Il faut remuer profondément la terre, arracher tous les arbres, et attendre plusieurs années avant de porter les premiers raisins à la cuve. Dans certaines parties de la France, dans le Sud-Est surtout, où depuis des siècles on avait l’habitude des plantations d’arbres intercalaires, il va falloir arracher les oliviers et se priver du même coup de cette seconde récolte. Comment pourra-t-on faire face à tant de dépenses dans quelques années, alors que les propriétaires seront réduits à, la plus grande misère, et que les revenus de l’état auront diminué dans des proportions que les derniers exercices permettent maintenant de prévoir ?

Est-il actuellement possible d’empêcher une de nos principales ressources financières de disparaître ? Nous le pensons ; et ce résultat peut encore être obtenu, suivant nous, par l’adoption d’une série de mesures dont les unes auront pour objectif la reconstitution des vignobles détruits, ainsi que la conservation de ceux qui existent encore, et les autres l’accroissement de la production actuelle. Les premières demandent des secours effectifs et directs, les deuxièmes, des secours indirects ; nous allons les passer successivement en revue.


I

La question du phylloxéra a été mal comprise dès le début, cela est certain ; mais, pendant la première période, une erreur de ce genre était très excusable. Gouvernans et gouvernés se trouvaient en présence d’une situation nouvelle dont personne ne pouvait prévoir les funestes conséquences. Beaucoup se refusaient à croire au danger, et les récens succès obtenus dans la lutte contre l’oïdium donnaient à tous le droit d’espérer dans la découverte d’un nouveau moyen scientifique. De tous côtés, donc, les savans se sont mis à la recherche du meilleur insecticide, et l’état, hésitant, s’est contenté de distribuer quelques millions pour les aider dans leurs recherches, ou pour encourager les propriétaires qui consentaient à faire l’épreuve de ces divers remèdes. Nous ne saurions l’en blâmer ; nous approuvons même sa conduite jusqu’au jour où il a été prouvé que les insecticides les plus puissans ne peuvent réussir que dans certaines conditions exceptionnelles et que le phylloxéra, poursuivant malgré leur emploi sa marche dévastatrice, est devenu un véritable fléau national. C’est sous ce nouveau point de vue qu’il faut le