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amusantes inventions de l’auteur d’Edgard et sa Bonne et de Célimare le Bien-Aimé qu’ils savourent ce qu’ils appellent toute l’amertume de l’existence. Au comique irrésistible que dégagent d’elles-mêmes les perplexités d’un Beaudeloche ou d’un Beauperthuis quelconque, tombé au piège de sa propre sottise, ils ajoutent celui de prendre l’accident de Beauperthuis ou le désespoir de Beaudeloche au sérieux. Et c’est pourquoi tout vaudeville contient en soi le germe d’un roman naturaliste, comme tout roman naturaliste peut se définir correctement : l’erreur d’un vaudevilliste qui s’ignore. On l’a bien vu, peut-être, lorsque M. Zola s’est avisé de faire transporter son Assommoir, et surtout son Pot-Bouille, à la scène. Quatre actes de vaudeville et six actes de mélodrame, dis au total ; c’est à quoi se résumait ce que ce grand contempteur de la « dramaturgie » et du « vaudevillisme » avait imaginé de plus naturaliste.

Ce serait inutilement accabler le lecteur de titres de romans et de nouvelles naturalistes que de vouloir pousser à bout ce commencement de démonstration. Ceux à qui ne suffirait pas l’analyse détaillée de l’Accident de Monsieur Hébert, telle que nous avons essayé de la leur donner plus haut, ou la lecture d’une Belle Journée, s’ils ont tant fait que de l’entreprendre, n’auront au surplus qu’à choisir dans le répertoire déjà considérable de M. de Maupassant : Boule de suif, En famille, A cheval, l’Héritage, et tant d’autres. Je leur signale aussi le dernier roman de M. Karl Huysmans, A rebours, imitation ou transposition de la Tentation de Saint-Antoine ; et je le leur recommanderais même, s’il ne s’y rencontrait, comme dans tous les autres d’ailleurs, trop de pages bonnes à mettre au cabinet.

Mais ce que je puis bien dire, en tout cas, c’est que le héros de cette histoire, le duc Jean Floressas des Esseintes, est à lui tout seul plus plaisant, risible et falot, que tous les Nonancourt et tous les Champbourcy du vaudeville contemporain mis ensemble. Il paraît que ce livre « a marqué dans une certaine direction la frontière avancée du talent de M. Huysmans, qui se trouve embrasser certaines régions lointaines apparemment extérieures. » Si cela signifie, comme je le conjecture, que M. Huysmans a quitté cette fois le terrain ordinaire dm naturalisme pour chevaucher les plus fantastiques chimères, il n’en est donc alors que plus curieux et plus caractéristique des le voir, après ce bel élan, retomber à chaque pas dans le vaudevillisme. L’idée de s’offrir à soi-même des symphonies de liqueurs « avec de vieille eau-de-vie représentant le violon, » et « le rhum simulant l’alto » ou « le vespétro le violoncelle, » est peu neuve, et serait difficile, sans doute, à mettre en scène. Mais l’idée de se procurer la sensation d’un voyage à Londres en se transportant dans une taverne de Paris plus ou moins britannique, est tellement une idée