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pouvaient, à travers toutes leurs déconvenues, se vanter d’avoir servi les vrais intérêts des deux causes qu’ils prétendaient rapprocher. Si sceptique ou défiant que vous laisse leur tentative, qu’on approuve ou rejette leurs méthodes et leurs procédés, il est malaisé de ne pas ressentir de sympathies pour leurs efforts et leurs souffrances.


I

Qu’on se rappelle les premiers promoteurs, les initiateurs de cette thèse, les plus illustres champions de cette réconciliation entre l’antique église et l’orgueilleuse société moderne. Jamais, à aucune époque, cause plus noble ne fut défendue par de plus nobles esprits : les Montalembert, les Lacordaire, les Ozanam, les Gratry, les Cochin, pour ne parler que des morts, hommes dont, éloge rare, la vie fut d’accord avec les doctrines et que l’âge mûr trouva fidèles aux rêves de la jeunesse ; orateurs ou écrivains dont, mérite peut-être plus rare encore, le caractère demeura supérieur au talent et l’âme aux œuvres. Que d’ardeur, que d’enthousiasme, que de généreuses illusions ! et aussi, d’un bout à l’autre de leur route, que de déboires, que de publics mécomptes et de secrètes tristesses ! Déceptions presque égales des deux côtés entre lesquels ils cherchaient un rapprochement ; déceptions de la part des nombreux catholiques qui les renient, qui leur reprochent comme une trahison leurs avances à l’esprit du siècle, qui, les accusant de vouloir combler l’abîme entre la vérité et l’erreur, ne leur épargnent ni insulte ni soupçon et mettent tout en œuvre pour les faire réprouver de cette église dont ils n’ont d’autre ambition que de servir la cause. Déceptions non moindres et non moins cuisantes du côté des libéraux et des défenseurs attitrés de la société moderne, qui, eux aussi, se font souvent un devoir de les répudier, qui, non contens de repousser leur concours, mettent en doute leur bonne foi, les taxent d’hypocrites manœuvres, allant jusqu’à les dénoncer comme les pires ennemis de la société moderne et à leur dénier le droit de prononcer le nom de liberté.

En faut-il croire ces désaveux partis des deux camps opposés ? Les hommes qui se flattaient de réunir la religion et la liberté étaient-ils victimes d’une incurable illusion, jouet des trompeurs mirages d’un cœur altéré et d’une imagination lasse ? Entre le catholicisme et les idées modernes y a-t-il un gouffre si profond que rien ne le puisse remplir ? L’église du Christ et la société issue de 1789 sont-elles fatalement vouées à une guerre sans fin et l’antagonisme entre elles est-il si naturel que tout rêve de paix doive leur