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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/823

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Talleyrand, de les acheter tous les deux et d’obtenir du général qu’il livrât les princes d’Orléans qui servaient dans son armée[1]. L’Autriche les garderait en otages. Convaincu que tous les révolutionnaires étaient plus ou moins de la faction d’Orléans et que la révolution n’était, au fond, que la grande conspiration de Philippe-Égalité, Fersen ne doutait point que, pour recouvrer « leurs princes, » Danton et ses amis ne s’empressassent de délivrer la reine et ses enfans. Le baron de Breteuil, qui était en Angleterre, s’aboucha avec un homme qui se faisait fort d’approcher Dumouriez et se disait son aide-de-camp. Cet agent esquissa même un projet d’accord[2], qui fut envoyé au comte de Mercy, l’ancien ambassadeur de Marie-Thérèse à Paris. Il fallait trouver 3 ou 4 millions. Mercy se chargea de les demander à Vienne et instruisit de la négociation le général en chef de l’armée, le prince de Cobourg. — Certes, lui écrivait-il, on n’en était qu’aux conjectures : « de là à l’aveu de celui que cela regarde, il y a bien loin encore. » Il faudrait lui demander, outre les princes d’Orléans, de livrer plusieurs places. Dans tous les cas, il était fort expédient de chercher à se « débarrasser d’un adversaire au moins incommode par sa brillante activité, qui électrise les hordes, d’ailleurs si mal composées, qu’il commande. »

Cobourg était donc préparé à négocier lorsque, le 23 mars, il reçut auprès de Bruxelles l’adjudant général Montjoie, qui venait à lui de la part de Dumouriez. « Le général, dit Montjoie, était décidé à mettre fin à toutes les calamités qui déchiraient sa malheureuse patrie, à rétablir la royauté constitutionnelle, à dissoudre la Convention nationale et à punir les scélérats de Paris. « Il demandait que, sous le prétexte d’un échange de prisonniers, Cobourg lui envoyât un officier de confiance avec lequel il pourrait s’expliquer plus amplement. Comme il arrive souvent à la guerre, chacun des deux généraux s’exagérait les forces et les avantages de son adversaire. Cobourg estimait à 40,000 hommes l’armée de Dumouriez ; il se rappelait l’effort puissant qu’elle avait fait à Jemmapes, il ne se rendait pas compte de sa détresse et de sa désorganisation. Il ne disposait que de 32,000 hommes, il attendait des renforts ; Dumouriez occupait une bonne position, sa proposition venait à point pour permettre aux Autrichiens de gagner du temps à ses dépens et peut-être de l’amener à se retirer. Cobourg lui envoya le colonel Mack.

  1. Fersen à Mercy, 3 février, Journal, 1er et 21 février, 10 mars 1792. Correspondance de Fersen, t. II.
  2. Voir, dans Mortimer-Ternaux, t. VI, Appendice, la Correspondance et les Mémoires de Mercy, de Cobourg et de Mack.