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Dumouriez le reçut le 25 mars au soir, à Ath, où il s’était arrêté. Ils causèrent et dînèrent ensemble. Dumouriez s’anima. « A travers les fumées du Champagne, » il laissa échapper qu’il attribuait à Cobourg des forces considérables, 60,000 hommes environ. Mack conclut de cet aveu qu’il pouvait se montrer « raide et décidé. » Après le dîner, Dumouriez l’emmena dans une pièce écartée, et là, en présence du général Valence, du duc de Chartres, de Thouvenot et de Montjoie, ses aides-de-camp, il s’ouvrit entièrement de ses desseins : disperser la Convention, rétablir la royauté constitutionnelle avec le dauphin, sauver la reine. Pour réussir, il avait besoin, de la neutralité de Cobourg et même de son appui. Mack répliqua sur un ton péremptoire que le prince n’entrerait dans aucune négociation tant qu’il resterait un Français dans les Pays-Bas. « Mais, reprit Dumouriez, je suis aussi fort que vous ; j’attends des renforts considérables en peu de jours, et je saurai me défendre. » Mack ne répondit que par un geste significatif. Dumouriez se résigna : « Eh bien ! s’écria-t-il, les Pays-Bas ont toujours été la proie d’une bataille, j’en ai livré deux, j’ai eu le malheur de les perdre… Je subirai le sort de la guerre. » Il s’engagea à se retirer et à faire évacuer les forteresses belges. Mack déclara que Cobourg le suivrait jusqu’à la frontière, observerait ses opérations et se contenterait de les observer tant qu’il lui verrait des chances de réussir dans son entreprise contre la Convention. Dumouriez ne demandait que trois semaines. Son plan était de se rendre à Paris à marches forcées, avec des troupes sûres, et de s’emparer, en arrivant, du club des Jacobins. Ensuite, la Convention dissoute, on tâcherait d’établir une constitution raisonnable et stable : la noblesse recouvrerait en partie ses honneurs et ses terres ; mais le peuple exercerait la souveraineté par ses représentans, ce serait quelque chose comme le système anglais. La confiscation des biens du clergé serait maintenue. A aucun prix, Dumouriez ne voulait entendre parler des émigrés et du comté de Provence. « Je suis prêt, dit-il, à sacrifier des centaines de mille hommes, si je les avais, pour empêcher que des puissances étrangères s’immiscent dans cette constitution future, pour empêcher qu’aucun émigré, à commencer par M. le comte de Provence, soit admis à y concourir. » C’était se faire blanc de son épée ! Quand il défendait avec tant de chaleur la constitution future de la France, il introduisait déjà l’ennemi dans la place et lui en ouvrait les avenues. Il insinuait, en effet, qu’il pourrait, le cas échéant, avoir besoin de Cobourg pour contenir Custine, et il le priait de tenir à sa disposition 20,000 louis à répandre dans Paris. C’est dans ces termes que l’accord se conclut Mack partit pour en faire son rapport à Cobourg.