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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/855

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vient nous rejoindre. Il a le fusil en bandoulière, la selle brodée, un beau cheval gris. C’est Mohamed, un des gardes-chefs de la propriété, fils du cadi de l’Enfida, de grande famille et ayant fort bon air. Il nous avait vus hier matin au marché, et il vient nous faire ses offres de service très bienvenues.

Fradise est loin encore, et il me propose de monter son cheval; mais la selle arabe ne m’invite guère. Alors il nous escortera, et notre suite d’Arabes de raccroc devient très humble et silencieuse devant lui.

Une grande heure de marche encore maintenant à travers de beaux bois, des coins de prés tout fleuris, où courent de petits ruisseaux; quelques maisons sont disséminées dans la campagne. Nous nous enfonçons dans les collines. Mohamed s’aperçoit de ma fatigue, fait traire pour moi des chèvres qui passent, et le lait, écumant et délicat, remplace un peu notre déjeuner laissé dans la voiture.

Encore des vergers d’orangers, de superbes chêne-liège. Nous suivons un vallon charmant. Les braves Arabes de notre suite, toujours grossissante, me voyant cueillir une fleur jaune, se précipitent sur toutes celles de la même couleur qu’ils voient et, en un moment, je suis fleurie de gerbes dorées. Nous sommes devenus très vite de grands amis, — à la condition que, successivement, je les laisse tous prendre mes poignets pour regarder mes bracelets, — mon lorgnon surtout, ce sujet intarissable de curiosité et de rires partout où je vais ici.

La vallée où nous sommes se rétrécit en descendant; quelques fragmens de pierre sculptée gisent sous les oliviers, — quand tout à coup se dresse devant nous une ravissante arche romaine. C’est une des portes d’Aphrodisium, maintenant Fradise, qui fut la ville dédiée à Vénus. A droite et à gauche, le flanc des collines est jonché, couronné de ruines. Devant nous, le vallon se perd dans un immense amphithéâtre de verdure et de bois, borné au loin par les gradins élevés du Djebel Zaghouan.

Malgré notre longue attente, la surprise est complète. L’arc de triomphe est d’une belle proportion et d’une couleur d’or rose, chaude comme le soleil qui le calcine depuis des siècles. Sa conservation est parfaite encore, mais peut-être bien menacée, car les plus grosses pierres du sommet ne tiennent que par un miracle d’équilibre. Le moindre tremblement de terre l’anéantirait.

L’étendue des ruines perdues dans la verdure, enfouies dans le sol, disséminées sur les hauteurs et au fond du vallon, est considérable.