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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/865

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— Oui, nous dit-elle en arabe, je veux bien apprendre à la dame, mais pas aujourd’hui ; je suis pressée, qu’elle revienne dans quelques jours, — La maîtresse du logis entend le colloque, et descend de son salon d’en haut, un peu étonnée de me reconnaître.

Il paraît qu’ici, comme dans beaucoup de familles, autrefois riches avant la conquête française, les femmes et les servantes de la maison travaillent pour augmenter leurs ressources et vendent un peu en cachette aux magasins leurs broderies, après avoir dû vendre presque tous leurs bijoux. Mais ceci est sous-entendu plutôt qu’avoué, et je me sens si mal à l’aise de mon indiscrétion involontaire, que, promettant vaguement de revenir, je quitte au plus vite cette demeure aristocratique.

Dans la rue, Aïshouna me regarde avec désespoir. Son fichu est maintenant tordu en spirale autour du cou, ses cheveux pendent très malpropres sur ses yeux :

— Il n’y a plus rien à faire pour aujourd’hui, me dit-elle. Vois-tu, demain, tu iras chez la fille du coiffeur ou chez la demoiselle de notre première visite,.. et puis on m’attend à mon café, il faut que je rentre.

Je n’ai plus rien à objecter. Nous redescendons tristement et très fatiguées la rue de la Kasba. Voilà trois heures que dure notre infructueuse expédition !

— Attends! s’écrie tout à coup Aïshouna. Tu n’as jamais vu un bain maure? Entrons-y, nous trouverons la demoiselle chez qui nous avons été tout d’abord, et tu lui parleras pour demain.

Soulevant un épais rideau de cotonnade qui sépare le hammam de la rue, nous sommes dans un autre noir, étouffant, aveuglées de vapeur brûlante. Il faut descendre quelques marches gluantes dans cette obscurité. Une négresse, absolument sans vêtemens, nous accueille avec force politesses, et peu à peu j’en distingue cinq ou six autres, riant, circulant, portant des paquets de bardes,

A gauche, est une cave plus sombre encore, plus basse et plus brûlante. C’est l’étuve, sur le divan de pierre de laquelle sont perchés des groupes de femmes et d’enfans. A droite, une pièce un peu claire heureusement, nattée, moins étouffée, vestiaire et salle de repos.

Trois négresses, assises sur leurs talons, y prennent du café. Une jolie petite fillette maure, de treize ans au plus, allaite son enfant.

D’autres femmes arabes circulent en parlant et riant. Tous leurs vêtemens pendent, accrochés autour de la salle, à des étagères de bois peint :

— Yanina ! hurle Aïshouna : — Hé ! Yanina ! reprend la noire maitresse