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vicissitudes de l’ancienne végétation polaire se sont ainsi dévoilées clairement sous la plume d’un habile interprète, qui a su démêler avec sagacité les diverses parties de son œuvre et les combiner en un vaste ensemble dont nous voudrions retracer ici les principaux traits.


I

Pour se faire une juste idée de l’aspect que présentent les contrées situées au-delà du cercle polaire, non pas le long des côtes, mais aussitôt que l’on pénètre dans leur intérieur, il suffit de jeter les yeux sur les vues photographiques rapportées du Groenland par le docteur Berggren de Lund, un des compagnons de Nordenskiöld lors de son voyage de 1870. — Une mer de glace, tantôt unie ou faiblement ondulée, tantôt raboteuse et semée de monticules, comme celle de Montanvert, au-dessus de Chamonix, a tout comblé, tout envahi, tout nivelé et s’étend à perte de vue, ne laissant percer que très rarement les pointes de quelques sommités. Vallées, gouffres, cascades, fleuves même, des lacs et des sources geysériennes, tout est creusé, superposé ou se fait jour à travers la glace ; en un mot, la glace est le seul élément visible, celui qui domine, recouvre et ensevelit tout le reste. La mer elle-même n’est pas soustraite à cette domination, et, comme l’emplacement du pôle nord se trouve occupé par une mer intérieure, cernée dans une direction par les prolongemens des continens asiatique et américain, dans une direction opposée par une ceinture d’archipels et de péninsules assis sur le 80e parallèle ou le dépassant, les glaces flottantes sans issue possible vers le sud se sont soudées en une masse presque continue, sur laquelle les navigateurs ont même tenté de s’aventurer en traîneau pour atteindre le pôle. Celui-ci effectivement n’est plus guère éloigné que de 6 à 8 degrés (150 à 200 lieues) des terres de Grant et de Petermann, les deux points extrêmes, les plus avancés vers le nord, qu’il ait été possible de toucher.

Ainsi la glace fait partout disparaître le sol et la mer à mesure que s’atténue la distance qui nous sépare du pôle. Pourtant, même dans ces conditions et aussi loin qu’il a été donné à l’homme de pénétrer, il serait inexact de dire que toute vie fût exclue et qu’auprès de l’immensité glacée, il ne fût pas réservé une étroite place aux dernières fleurs qui trouvent moyen d’épanouir leur corolle et de mûrir leurs graines au soleil du rapide été de ces latitudes désolées. Même au détroit de Smith et plus loin, sur la terre de Grinnell, de 80 à 83 degrés de latitude nord, on ne compte pas moins de 75 espèces de végétaux vasculaires. La richesse du monde des