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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/948

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jeune homme qui périt pour elle, justement comme tout à l’heure il périra pour Marianne, se croyant trompé par son ami ; un peu plus loin, il cite à haute voix et commente les vers de Leopardi : « Lorsque le cœur éprouve sincèrement un profond sentiment d’amour, il éprouve aussi comme une fatigue et une langueur qui lui font désirer de mourir. » Et cela ne suffit pas ! Ordonnons alors qu’il porte écrit sur son chapeau : « C’est moi qui suis Cœlio, promis à ce couteau ! »

Une bonne part de maussaderie s’est détournée sur Claudio et Tibia ; on les condamne comme d’un comique trop bas, on les réprouve comme des a pantins. » Assurément, leur ridicule, plutôt que de rappeler le Misanthrope, est celui de deux caricatures, mais de caricatures charbonnées par une fantaisie bien malicieuse ; ces pantins sont ceux d’un guignol exquis. Pour faire causer ainsi deux niais, pour leur prêter cette naïveté d’expression, pour trouver la loi de l’association de leurs idées, il faut tout l’esprit du railleur qui fait converser le prince et Marinoni dans Fantasio, le baron et Bridaine dans On ne badine pas avec l’amour, Irus et ses deux laquais dans A quoi rêvent les jeunes filles ; — j’allais oublier l’abbé, le prodigieux abbé d’Il ne faut jurer de rien. N’est-ce pas, d’ailleurs, un changement qui a son horreur tragique, que la transfiguration de ce podestat grotesque en justicier, lorsqu’il se dresse à la fin dans sa robe rouge, sur le seuil de sa maison ? De ces pantins-là il faut de fines et fortes mains de poètes pour gouverner les ficelles.

Il me paraît qu’Hermia, cette mère d’une majesté antique, est le seul personnage qui ait échappé aux censeurs ; de même, Mlle Lloyd, qui la représentait le premier soir, et Mlle Madeleine Brohan, qui, depuis, a repris le rôle, sont épargnées. En revanche, on n’a rendu justice ni à la maestria de M. Delaunay, qui déclame en premier ténor les morceaux de bravoure du rôle d’Octave, ni au talent de M. Le Bargy, qui débute dans Cœlio. Pour être un peu laborieux, le comique de M. Leloir mérite-t-il tant d’injures ? La drôlerie naïve de M. Truffier n’a-t-elle pas son prix ? Allons, il faut l’avouer, on était, ce soir-là, mal parti pour le plaisir ; les interprètes de Musset peuvent répéter cette fois oe qu’il écrivait ici même à propos des débuts de Pauline Garcia : « Ce n’était pas à vous que j’avais affaire, subtils connaisseurs, honnêtes gens qui savez tout et que, par conséquent, rien n’amuse ! »

Ces honnêtes gens, qui savent tout, ont pourtant fait une critique à laquelle, pour notre part, nous sommes tenté de nous associer. Ils ont blâmé comme une nouveauté, — en quoi ils avaient tort, — et comme un ornement malheureux, — en quoi ils avaient peut-être raison, — le transport de la dernière scène dans le décor du cimetière. Ainsi le voulait la première pensée du poète : le texte en fait foi ; mais