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cette première pensée voulait aussi que la comédie se développât tantôt dans une rue et même dans plusieurs, tantôt dans la maison de Cœlio, tantôt dans le jardin de Claudio. Puisqu’on 1851 l’auteur réduisit l’ouvrage à l’unité de décor, et puisqu’on ne rétablit pas toute la diversité des cadres qu’il avait d’abord rêves, pourquoi nous accorder à la fin ce cimetière plutôt que tel ou tel autre changement ? Ce zèle, par lui-même, est louable, et, s’il commet une faute, c’est une belle faute ; mais un entr’acte, en ce point, a le tort de surprendre l’intérêt et de laisser se refroidir le spectateur ; tout vibrans d’émotion, c’est sur le corps palpitant de Cœlio que nous voulons entendre la dernière dispute d’Octave et de Marianne et cette navrante parole : « Je ne vous aime pas, Marianne ; c’était Cœlio qui vous aimait ! » Et puis, — faut-il le dire ? — cette tombe toute neuve, ombragée d’un saule, surmontée d’une urne et voilée d’un crêpe, flanquée d’un jeune homme qui porte une plume à son bonnet et d’une jeune femme en galant costume, tout ce paysage funéraire a le mérite, aux yeux des curieux, d’être exactement romantique : aux yeux des simples lettrés, il a le tort justement de confiner l’ouvrage dans une époque littéraire et dans une mode auxquelles l’ouvrage a survécu.

La brochure dit bien que la scène est à Naples et les costumes du temps de François Ier, — comme la scène de Fantasio est à Munich et celle de Barberine en Hongrie, comme l’habit de Perdican est Louis XV, et celui de Fortunio Louis XVI, — à moins qu’il ne soit Louis XVIII ; — mais la plus juste indication, en tête de ces ouvrages, serait celle qui précède A quoi rêvent les jeunes filles : « La scène est où l’on voudra. » — La scène est partout, pour ces humaines aventures, et particulièrement nulle part, sinon dans le royaume de fantaisie. N’est-ce pas une province de ce royaume que cette Italie de la renaissance où Leopardi parait sans nous surprendre ? On connaît l’exclamation de Chilpéric, dans une pièce bouffe, lorsqu’un huissier annonce Molière à sa cour : « Déjà ! » s’écrie le roi. Personne, quand Cœlio cite les stances de l’Amour et de la Mort, ne s’avise de répéter ce cri. Pourquoi, sinon parce que l’ouvrage n’appartient pas au XVIe siècle plutôt qu’au XIXe ? De même le romantisme, ni aucune mode littéraire ne peut le réclamer pour sien. Musset échappe au servage de toutes les écoles ; il n’est pas romantique, et comment le serait-il ? Le romantique est une espèce de l’homme de lettres ; et déjà l’homme de lettres est une espèce d’homme ; nous avons dit que Musset, par paresse ou par appétit de vivre, eut assez d’être un homme : c’est pourquoi son œuvre, encore qu’elle soit bien française par le goût du style, et d’un enfant de ce siècle par l’inquiétude de la pensée, est universelle et immortelle.