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quelques années et donne une imposante majorité à l’opposition composée de catholiques et de libéraux indépendans ou dissidens qui ont refusé de suivre le ministère de M. Frère-Orban dans sa politique semi-radicale. Le résultat logique, légal de ce scrutin, c’est la chute des libéraux et l’entrée aux affaires de la majorité nouvelle qui arrive naturellement au pouvoir avec ses idées et ses programmes consacrés par les électeurs. A la place du ministère de M. Frère-Orban, un ministère Malou se forme : c’est la loi des régimes parlementaires. Un instant les libéraux, étourdis du coup imprévu qui vient de les frapper, paraissent se résigner et accepter leur défaite ; bientôt cependant revenus d’une première surprise, encouragés par quelques succès dans des scrutins de ballottage, ils retrouvent leur hardiesse, et à peine le nouveau parlement est-il ouvert, ils engagent une lutte violente. Ils ne se bornent pas à combattre le ministère par des discours, par les polémiques de la presse, ils l’attaquent par tous les moyens. Les manifestations tumultueuses se succèdent dans les rues, autour des chambres. Des fédérations des communes libérales se forment pour organiser l’agitation contre les lois présentées par le nouveau gouvernement. Des pétitions circulent pour exercer une véritable pression sur les pouvoirs publics, pour demander tout simplement au roi le renvoi d’un ministère qui a la majorité et la dissolution d’une chambre tout récemment élue. C’est là le spectacle offert depuis quelques jours.

Que les libéraux belges, qui ont perdu le pouvoir par leur faute, combattent à leur tour le ministère de M. Malou et tâchent de reconquérir la majorité, de se préparer une revanche, ils sont certainement dans leur droit, ils ont toutes les ressources de la liberté légale pour soutenir cette lutte. Rien de plus simple ; mais qu’on le remarque bien, ce n’est pas la première fois qu’ils procèdent par les moyens violens. Déjà, en plus d’une circonstance, lorsque les catholiques avaient obtenu la majorité dans le pays, les libéraux se sont efforcés de rendre le gouvernement impossible à leurs adversaires par des agitations de rues auxquelles le roi Léopold Ier lui-même, le plus prudent des souverains, ne crut pas toujours pouvoir résister. C’étaient là certes des succès fort équivoques pour un parti sérieux. Les libéraux belges, en recommençant aujourd’hui, en introduisant le désordre et la force dans le jeu des institutions, ne s’aperçoivent pas qu’ils détruisent toutes les garanties des pays libres, qu’ils altèrent et faussent toutes les conditions du régime parlementaire. C’est là le péril auquel les libéraux exposeraient la Belgique et que le nouveau ministère ne peut détourner ou atténuer que par une politique mesurée, utile pour lui-même comme pour la nation belge.


CH. DE MAZADE.