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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 65.djvu/128

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ici, à la vertu de la règle de trois. La lecture, l’écriture, le calcul sont des armes à deux tranchans : tout dépend de ce qu’on lit et de l’emploi qu’on fait de son arithmétique. M. Spencer dit avec plus de raison : La table de multiplication ne vous aidera pas à comprendre la fausseté des thèses socialistes. Qu’importe que le travailleur sache lire s’il ne lit que ce qui le confirme dans ses illusions ? Un homme qui se noie s’accroche à une paille ; un homme accablé de soucis s’accroche à n’importe quelle théorie sociale, pourvu qu’elle lui promette le bonheur.

Voici une preuve décisive de l’insuffisance des connaissances primaires : quels sont, parmi les travailleurs de toute sorte, les plus instruits ? Les ouvriers ; et c’est d’eux précisément, avec leurs idées fausses, que nous vient le plus grand péril. Le paysan ignorant est moins absurde que l’ouvrier à moitié éclairé. Un peu d’instruction éloigne parfois du bon sens ; beaucoup d’instruction y ramène. Si on ne perfectionne pas l’instruction primaire, la diffusion de cette instruction amènera tous les travailleurs, y compris les paysans, au niveau des ouvriers et leur donnera plus de force pour faire de mauvaise politique.

L’instruction secondaire et l’instruction supérieure sont plus efficaces, sans doute, que l’instruction primaire ; cependant, elles sont encore loin, par elles-mêmes, de développer les capacités politiques. « Jetez un coup d’œil, dit encore M. Spencer, sur les bévues de nos législateurs ; ce sont là, cependant, des hommes qui ont pris leurs grades universitaires. Prenez seulement un jeune membre du parlement, frais émoulu d’Oxford ou de Cambridge, et demandez-lui ce que la loi doit faire, selon lui, et pourquoi ? ce qu’elle ne doit pas faire, et pourquoi ? Vous verrez bien que ses études dans Homère ou dans Sophocle ne l’ont guère mis en état de répondre à la première question qu’un législateur ait à résoudre. Pour préparer des gens à la vie politique, il faudrait leur donner une culture politique ; on fait tout le contraire. Pourtant, quand nous voulons qu’une jeune fille devienne bonne musicienne, nous l’asseyons devant un piano ; nous ne lui mettons pas un attirail de peintre entre les mains. » Au moins les études classiques, trop calomniées, ont une influence esthétique et morale, si elles ne développent pas le sens politique ; mais l’étude des sciences, telle qu’on l’entend aujourd’hui, n’a ni l’un ni l’autre de ces avantages. Nos programmes actuels, que le conseil supérieur va heureusement réformer, sont surchargés d’études historiques et scientifiques : on a accablé la mémoire des élèves sans développer leur jugement et surtout sans élever leur caractère ; le résultat a été si déplorable que les auteurs mêmes de la réforme semblent aujourd’hui en avoir