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mal équilibrée, à se plaindre de son sort. La situation ne comportait pas de demi-mesures ; en quelques jours, la défaite du passé fut complète : la concentration de pouvoirs réalisée par le génie organisateur de Dioclétien aida singulièrement d’ailleurs à la rendre définitive. Le nouveau système politique et la nouvelle foi religieuse s’adaptaient merveilleusement l’un à l’autre ; la croyance en un seul Dieu semblait pour ainsi dire justifier la soumission absolue à un seul maître. Telle sera la double formule de l’empire entré dans sa seconde phase.

Nous trouvons Constantin « ballotté d’âge en âge entre Marius et César. » — « Comparable aux meilleurs princes dans les commencemens de son règne, dit Eutrope, il ressembla aux plus médiocres dans ses dernières années. » — « S’il adopta la religion chrétienne, nous assure Zosime, c’est parce que, meurtrier de son fils et de sa femme Fausta, il lui fallait une religion qui eût des pardons pour tous les crimes[1]. » — « Il ruina l’empire, » ajoute ce païen invétéré. « Il le sauva plutôt, » prononcera tout juge impartial. En se mettant d’accord avec l’esprit de son temps, au lieu de s’obstiner à vouloir lui faire rebrousser chemin, Constantin put donner au pouvoir qu’il avait conquis une base plus solide que l’assentiment capricieux de quelques légions : il régna sur le peuple par le peuple. Son règne de trente ans est là pour affirmer la sagesse mondaine de ses préférences religieuses. Néanmoins, lorsqu’à l’âge de soixante-six ans, l’empereur Constantin termina, dans les faubourgs de Nicomédie, une vieillesse plus chagrine et plus sombre encore que celle de Louis XIV, la cause du christianisme n’était qu’à moitié gagnée : la frivole entreprise du dernier rejeton de Constance Chlore scella pour un éternel avenir le triomphe du Galiléen. L’apostasie de Julien eut un résultat diamétralement opposé à celui qu’il en attendait : elle affermit le peuple alarmé dans sa foi encore hésitante.

On peut jusqu’à un certain point comprendre le désir qu’éprouva Julien de ranger de nouveau les aigles romaines sous la protection de ces dieux superbes qui leur avaient jadis donné l’empire du monde ; mais Julien, si épris qu’il pût être de la grandeur de Rome, n’avait que le nom de Romain : son cœur et son esprit étaient grecs.

  1. Il parait très douteux cependant que l’impératrice Fausta ait précédé son mari dans la tombe. Gibbon fait remarquer que deux oraisons prononcées sous le règne de Constance semblent décharger la mémoire du premier empereur chrétien d’un des deux meurtres au moins qui lui sont imputés. L’une de ces oraisons célèbre la beauté, la vertu et le bonheur de l’impératrice Fausta ; l’autre affirme que « la mère du jeune Constantin, qui fut tué trois ans après la mort de son père Constantin le Grand, vécut pour pleurer la perte de son fils. »