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régulièrement, chaque année, l’embouchure de l’Indus et le golfe de Cambaye ; ils allaient aborder tout droit à Ceylan. « Plus loin, écrit Cosmas, le premier géographe qui nous ait parlé clairement des Moluques, est le pays qui produit le girofle ; puis vient Sina, d’où s’exporte la soie. Au-delà de Sina, il n’existe nulle terre, car l’océan entoure Sina du côté de l’Orient. »

Cosmas n’ignore pas que, pour arriver à Ceylan, il faut traverser l’archipel des Maldives ; a Sielediva, dit-il, est un immense entrepôt commercial. Elle est précédée d’autres îles, peu étendues sans doute, en revanche innombrables et très rapprochées les unes des autres. Sur tous ces îlots on trouve de l’eau douce et des cocos, — karua indica, — des noix indiennes. »

Deux princes se partageaient l’empire de Ceylan : l’un régnait sur l’intérieur montagneux de l’île ; l’autre occupait les côtes. Le port de Trinquemalé lui appartenait, et ce port était alors le grand entrepôt du commerce encore mystérieux de l’extrême Orient. Les Indiens et les Chinois trouvaient avantageux de s’y rencontrer pour échanger leurs produits ; les marchands d’Alexandrie eux-mêmes osaient y conduire, dans la saison favorable, leurs vaisseaux. La traversée sans doute était périlleuse : ne valait-il pas mieux cependant en courir les risques que d’aller aux foires de l’Arménie ou à celle de Nisibis acheter de seconde main ces écheveaux de soie grège et ces précieuses soieries que les marchands de Bokhara et de Samarkand, les seuls qui fussent, par terre, en relations directes avec les marchands du Chensi, avaient déjà revendues aux sujets du roi de Perse, non sans en tirer naturellement un premier profit ? Par la voie maritime, le gain était tout entier, sans partage, pour l’armateur qui se chargeait d’approvisionner le marché romain ; il n’en restait rien ou du moins peu de chose entre les doigts crochus des intermédiaires. Quand la livre de soie se payait, à Byzance et à Rome, douze onces d’or, on s’explique facilement que, du jour où la route directe vers la nouvelle Colchide fut ouverte, il n’ait pas manqué, en dépit de tous les risques à courir, de gens audacieux pour s’y précipiter.

Sous le règne de Justinien, et plus encore sous celui de son successeur, la soie devient tout à coup une marchandise européenne ; deux moines persans sont arrivés de Nankin à Byzance, portant des œufs de vers à soie cachés dans une canne de bambou ; les fabriques du Péloponèse rivalisent maintenant avec celles de la Chine ; l’intérêt du lointain voyage se trouve brusquement diminué de moitié. Il est très probable qu’à partir de, cette époque, le commerce maritime de l’Inde éprouva un ralentissement sensible. Néanmoins, quand l’Egypte fut soustraite à la domination romaine, je ne mets