Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 65.djvu/154

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce n’est pas à 6 milles, mais à 20, mais à 30, à 60, à 80 même, que nos amiraux veulent être éclairés. Voici le principe généralement admis : un premier aviso part en avant à la découverte ; au moment où il va se trouver par son éloignement hors de la portée des signaux, un second aviso détaché de la flotte reçoit l’ordre de le suivre ; un troisième éclaireur, expédié aussitôt que le second a pris une avance suffisante, continue la chaîne ; cette chaîne se prolongerait au besoin de la côte de Provence à la côte de l’Algérie. Pour la rendre complète, il y faudrait employer beaucoup moins de navires qu’on ne pense. Lord Exmouth tranquillement mouillé, au cours de la dernière guerre maritime, dans le port de Mahon, apprenait chaque matin ce qui s’était passé depuis la veille sur la rade de Toulon. Dès le lever du jour, une frégate s’approchait du goulet, comptait nos vaisseaux, observait l’état plus au moins avancé de leur armement : l’examen terminé, elle reprenait le large et se dirigeait à toutes voiles vers le sud. Aussitôt qu’elle apercevait seulement le haut des mâts d’une seconde frégate placée en vedette pour attendre et recueillir les avis apportés de la côte, elle commençait à se couvrir de signaux. La seconde frégate, — j’entends par là le capitaine et les gens qui la montaient : le navire est pour nous autres marins un être animé, — avait à peine compris les informations qui flottaient dans l’air qu’elle tournait rapidement à son tour sur ses talons et allait porter à une troisième frégate prête à remplir vis-à-vis d’un quatrième croiseur le même office, ce renseignement journalier qui arrivait à sa destination avec une régularité qu’aurait, à cette époque, enviée la malle-poste.

Une flotte exactement informée a toujours sur un adversaire moins bien servi par ses éclaireurs un grand avantage : il dépend d’elle d’engager ou de refuser le combat. La marine byzantine ne se piquait pas d’audace ; elle considérait la prudence comme la meilleure partie de la valeur. « Il importe beaucoup, lui répétaient souvent ses tacticiens, de bien connaître nos forces et celles de l’ennemi, de savoir combien nous avons de navires et combien l’ennemi en possède ; de quelle sorte de vaisseaux se compose sa flotte, si ses équipages proviennent de nouvelles levées ou se composent de marins aguerris ; s’ils montrent une inclination marquée à combattre. Les espions et les déserteurs doivent être consultés sur ces divers points. Gardons-nous d’ailleurs de nous en rapporter à un seul témoignage ; rassemblons autant de dépositions que nous pourrons : si ces déclarations concordent, tenons-nous alors pour suffisamment renseignés. Sommes-nous supérieurs en force à l’ennemi, livrons-lui hardiment bataille, sans le mépriser cependant, car souvent qui s’est fié au nombre n’en a pas moins été battu. Les