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forces sont-elles égales, si l’ennemi ne prend pas l’offensive, ne la prenons pas non plus ; contentons-nous de conserver nos positions, à moins que l’ennemi ne veuille profiter de notre inaction pour insulter et dévaster notre territoire. En cas d’infériorité numérique, nous refuserons sans hésiter le combat. Et, pourtant, il n’est pas toujours impossible de vaincre un ennemi supérieur en nombre : les vents peuvent nous venir en aide ; un canal étroit peut rendre la multitude dont notre adversaire dispose, inutile. Il arrive en outre très souvent que les forces ennemies, dispersées au début des hostilités, aient besoin de se réunir pour tirer parti de leur supériorité numérique. Un général habile saura les surprendre pendant qu’elles opèrent leur concentration ; il fera ainsi tourner l’avantage du nombre en sa faveur. Notre territoire est-il envahi, portons nous-mêmes la guerre sur le territoire de l’envahisseur, nous l’obligerons à se rembarquer pour venir défendre son propre sol. En résumé, ne combattez jamais des forces supérieures tant que la protection de vos villes de commerce ou de vos places de guerre ne vous en imposera pas l’obligation. » Voilà qui est clair. Si, avec de pareilles instructions, les stratèges byzantins commettent quelque imprudence, c’est que chez eux, par une chance imprévue, le sang de Miltiade aura parlé plus haut que le respect des ordres de l’empereur.

« Avez-vous résolu, après mûre réflexion, de livrer bataille, convoquez sur-le-champ vos capitaines et haranguez-les pour les exciter à faire leur devoir. Ne craignez pas alors de déprécier les forces de l’ennemi et d’exalter les vôtres. Menacez des plus grands châtimens tout capitaine qui oserait déserter le combat. Ce n’est pas sur sa tête seulement que tomberait la colère du prince : sa femme, ses enfans, tout ce qui lui tient par les liens du sang, serait victime de sa lâcheté ; on les chasserait de leurs foyers, on les bannirait du sol de la patrie, on les enverrait habiter une terre inhospitalière. Qui donc, après de telles menaces, ne s’exposera pas courageusement au péril ? Qui ne préférera la mort à la vie ? Pour sauver ses petits, la bête fauve n’hésite pas à braver le chasseur. Lorsque des animaux dépourvus de raison nous donnent un tel exemple, peut-on croire que des êtres raisonnables se préoccuperont moins du sort de leurs enfans ? Celui qui n’aura pas eu souci de son Dieu, de sa foi, qui aura oublié sa femme, sa famille, ses vieux parens, ses frères, ses coreligionnaires, doit s’attendre à subir les plus cruels supplices. Ce n’est pas par le fer qu’on le fera mourir ; il est digne du feu et c’est par le feu qu’il périra. »

Si nous n’avions sous les yeux le texte grec exhumé par Muller, nous croirions entendre une harangue chinoise. Jamais nous n’avons