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mieux mesuré la distance qui sépare Byzance de Rome et d’Athènes. Héros de Salamine, d’Eucnome, de Lilybée, est-ce là le langage qu’on vous tenait ? Était-il besoin de vous montrer en perspective la hache du licteur pour vous obliger à combattre ? Eût-on jamais osé vous adresser ces indignes menaces et rendre les êtres innocens qu’on vous savait chers responsables à l’avance de votre conduite ? Il fallait des otages à Byzance pour qu’elle comptât sur le courage de ses troupes ! Qu’on s’étonne, après un tel aveu, de l’empressement du prince à ouvrir les rangs de l’armée aux barbares !

« Je sais bien, ajoutera, il est vrai, le stratège, changeant tout à coup de thème et s’adressant à l’amour-propre de ses capitaines, que nul d’entre vous n’aura un seul instant la pensée de fuir. » L’assemblée, consultée, n’en décrétera pas moins d’une voix unanime la peine de mort contre les fuyards, puis, avant de se séparer, elle appellera par une prière fervente la protection du ciel sur ses armes. Au moment de faire sortir sa flotte du Texel, sous les ordres de l’amiral van Gent, le prince d’Orange n’en disait pas si long aux capitaines des Provinces-Unies : « Si la flotte est battue, les commandans qui rentreront au port trouveront la terre natale plus périlleuse pour eux que le champ de bataille. » Ces quelques mots, sortant de la bouche du prince taciturne, ont très probablement produit plus d’effet que les longs discours recommandés au stratège byzantin.

Les défections étaient pourtant moins faciles à déguiser et à excuser dans une flotte à rames que dans une réunion de navires à voiles. Avec la rame, on n’a point pour rester en arrière le prétexte captieux du calme ou du vent ; si l’on manque à son poste, si l’on sort de la ligne, le refus de concours est bien manifeste. La marine à vapeur aurait peut-être plus mauvaise grâce encore à vouloir se plaindre d’avoir été trahie par la brise ; mais elle peut l’être, — un illustre maréchal se permettait d’en rire, — par « le fonctionnement défectueux de ses clapets » : la trière, la liburne, le dromon, la galère du moyen âge, comme celle du XVIIe siècle, n’ont pas même ce motif à invoquer quand on leur adresse le reproche d’être restés en arrière. Est-ce la nonchalance de la chiourme qui les a retenus ? Le nerf de bœuf de l’argousin fut précisément inventé pour rendre, en ces circonstances, au navire attardé des ailes.


V

Toutes les nations arrivées à un certain degré de culture intellectuelle ont attaché une grande importance à l’ordonnance de leurs troupes ou de leurs vaisseaux. Moins elles comptent sur l’élan de