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nous servent seulement à mesurer la force du vent. M. Bagehot considérait la chambre des lords comme un anémomètre qui ne préserverait jamais l’Angleterre d’aucune tempête et d’aucun malheur, mais qui servait à la rassurer en lui prouvant que les malheurs n’étaient pas proches. « Appuyée sur les vieux sentimens de respect dont on lui offre l’hommage séculaire, cette vénérable assemblée nous démontre par son existence et sa durée que nous ne sommes pas disposés à rompre avec notre passé. Tant que les vieilles feuilles se maintiennent sur les arbres en novembre, on est certain qu’il y a eu peu de gelée et point de vent ; tant que la chambre des lords possédera parmi nous quelque autorité et quelque crédit, il sera permis d’en conclure qu’il n’y a dans le pays ni mécontentemens extrêmes ni aucun des signes avant-coureurs d’une grande perturbation. »

Si l’on en jugeait sur les apparences, le Royaume-Uni serait entré dans la saison des tempêtes, car jamais la chambre des lords n’a été en butte à tant de colères, à tant d’invectives, à des attaques si passionnées. Jamais on ne lui a rappelé avec plus d’aigreur tous les griefs qu’on avait contre elle ; jamais les feuilles jaunies du vieux chêne n’ont été froissées et secouées avec tant de violence par le vent de la justice populaire. Cependant il ne faut rien exagérer ni croire que M. Bagehot se soit trompé, que les lords, cédant tout à coup aux entraînemens d’un enthousiasme héroïque, aient résolu de prouver au monde qu’ils sont un rempart contre la révolution. Ils ne songent pas à lui jeter le gant, à emboucher la trompette des combats, à affronter tous les conflits et tous les périls, quittes à mourir noblement comme des sénateurs romains sur leurs chaises curules, ou à trouver leur salut dans les inspirations soudaines d’un beau désespoir. M. Gladstone les avait mis en demeure d’approuver un bill de réforme électorale, voté par la chambre des communes, et qui crée deux millions d’électeurs de plus. Ils ont répondu qu’ils n’accepteraient L’extension du droit de vote que le jour où le gouvernement, s’expliquant sur l’usage qu’il compte en faire, leur présenterait un bill complémentaire touchant la nouvelle distribution des collèges électoraux. C’est à cela que se borne leur opposition, et il ne s’agit dans cette affaire que d’une manœuvre de parti, où les principes n’ont rien à voir.

Les tories, tout le monde le sait, espéraient renverser le ministère libéral en exploitant contre lui les fautes qu’il a pu commettre dans sa politique étrangère, ses embarras égyptiens et la popularité de Gordon. Mais M. Gladstone n’était pas homme à engager la lutte suc un terrain si dangereux. A l’époque de la guerre de Crimée, un ministère, excellent pour les temps de paix, dut céder la place à un cabinet d’action qui eût la main forte et le goût des entreprises, et on disait : « Nous avons renvoyé le quaker pour prendre un pugiliste. » M.