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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 65.djvu/212

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d’immodestie quand elle se permet de dire : « Nous rejetterons ce bill une fois, deux fois, trois fois même ; mais si vous persistez à nous le renvoyer, nous finirons par l’accepter. » Les libéraux modérés ont trop d’expérience des assemblées électives pour ne pas savoir qu’elles ne sont point infaillibles, que leur bonne foi est souvent surprise, que leur bon sens n’est qu’intermittent, que la passion, les cabales des partis, l’assujettissement aux coteries et la crainte de l’électeur, qui n’est pas toujours le commencement de la sagesse, leur font faire bien des sottises. A ceux qui crient : « A bas les lords ! Down with lords ! » ils répondent : « Que mettrez-vous à leur place ? Qui désormais réparera nos étourderies ? » Il se commet tant de péchés dans la vie politique qu’en organisant les corps de l’état, tous les sages législateurs ont réservé une place au repentir. C’est l’office propre d’une chambre haute ; elle se repent des péchés des autres.

Les libéraux modérés savent gré à la chambre des lords non-seulement des services qu’elle peut rendre au pays, mais de ceux qu’elle leur rend à eux-mêmes en se chargeant d’introduire dans les bills des amendemens pour lesquels ils ne pourraient voter dans la chambre des communes sans se brouiller avec leurs commettans : « Votons de travers, disent-ils ; nous serons agréables à ceux qui nous ont élus. Les cinq cents lords sont là ; que Dieu bénisse leurs ciseaux et leur grattoir ! » Il en est aussi qui considèrent que si l’on venait à supprimer la chambre haute, beaucoup de lords demanderaient à entrer dans la chambre basse et deviendraient pour eux de dangereux compétiteurs, les agens électoraux ayant reconnu depuis longtemps qu’un lord d’opinions avancées est de tous les candidats celui qu’on a le plus de chances de faire passer. On peut croire que, s’il avait à conquérir les bonnes grâces d’un collège, tel tory rétrograde, à qui on reproche ses tendances obstructionnistes, son conservatisme étroit et brutal, s’empresserait de faire avancer sa montre. On ouvre le cadran, on pousse l’aiguille avec le doigt, cela se pratique tous les jours. Les libéraux qui se disent que si on fermait les portes de la chambre des lords, il faudrait ouvrir aux pairs les portes de la chambre des communes, sont les plus ardens à reprocher au marquis de Salisbury les audaces de sa politique, qu’ils traitent de coups de tête. Ils supplient les valétudinaires d’avoir plus d’égards pour leur santé, ils leur remontrent que leur existence ne tient qu’à un fil, et qu’ils sont perdus s’ils écoutent plus longtemps les conseils téméraires d’un casse-cou : the rash conceits of that reckless leader.

La politique aventureuse du marquis de Salisbury a chagriné, alarmé beaucoup de gens ; en revanche, elle a réjoui les radicaux, qui considèrent tout conflit entre les deux chambres comme un événement heureux. Ils se sont appliqués à aigrir la querelle, à envenimer les