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plaies, à prouver à l’Angleterre que la chambre des lords est un danger pour la paix publique, qu’il faut à tout prix la réformer et que la meilleure des réformes est de l’abolir. Ennemis acharnés de toutes les institutions qui ont longtemps vécu, ils éprouvent un singulier plaisir à abattre les vieux arbres, comme pour se venger d’un passé où ils n’étaient rien, et ils trouvent qu’un lord, quel que soit son âge, ressemble à un vieil arbre. Au surplus, l’aversion qu’ont les taureaux pour le rouge et les sansonnets pour le blanc, ils la ressentent pour les chambres hautes, de quelque façon qu’elles se recrutent. En toute chose, ils ont la fureur de la simplification. Pascal opposait l’esprit de géométrie à l’esprit de finesse, et il disait que les géomètres, ne connaissant que leurs principes et, ne voyant pas ce qui est devant eux, veulent traiter géométriquement des choses fines et déraisonnent à force de bien raisonner.

S’il est aisé de prouver géométriquement qu’une chambre haute est une institution inutile, quand elle n’est pas nuisible, il est encore plus facile de démontrer par l’expérience et par l’histoire que les assemblées uniques se transforment fatalement en conventions et qu’une convention est le gouvernement le plus tyrannique auquel un peuple puisse être soumis. Mais les radicaux anglais, comme ceux du continent, ont dressé depuis longtemps la liste des destructions nécessaires au bonheur de l’humanité, et ils n’attendaient qu’une occasion de crier : Down with lords ! L’occasion s’est présentée, ils l’ont saisie avec empressement. Les chiens qu’on a eu l’imprudence de réveiller et qui remplissent la Grande-Bretagne de leurs aboiemens ne sont pas tous en colère ; il en est beaucoup qui hurlent de joie. Il s’était formé naguère une association pour la réforme de la chambre des lords ; elle s’est changée en une ligue populaire pour l’abolition de la chambre législative héréditaire. Sir Wilfrid Lawson, membre de la chambre des communes, a accepté la présidence de cette ligue, qui prend toutes ses dispositions pour ouvrir une campagne active à Londres et plus tard en Écosse. M. Gladstone ne la patronnera pas, mais il n’aura garde de rien dire, de rien faire qui puisse la contrarier. Les ennemis de nos ennemis sont toujours un peu nos amis.

Il n’est pas prouvé que la ligue populaire réussisse avant peu à supprimer la chambre des lords ; mais il n’est pas prouvé non plus que cette chambre puisse subsister longtemps encore telle qu’elle est. Ceux de ses partisans qui prétendent qu’il vaut mieux l’abolir que d’y rien changer sont des imprudens qui boudent leur siècle, et le dépit est une bien petite passion pour lutter contre les destinées. Les réformes valent mieux que les révolutions, et les gens sensés ne balancent point à changer leurs habitudes quand il y va de leur vie. Des