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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 65.djvu/217

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pourpre du misérable Lazare et de ses ulcères, qui sont léchés par les chiens. Le torysme démocratique poursuit les mêmes visées, tient le même langage. Il dit aux petits et aux affamés : « Vos tribuns sont des intrigans qui vous exploitent pour arriver au pouvoir ; nous seuls avons pitié de vos maux et pouvons vous en guérir. » — « Les conservateurs modérés, écrivait dernièrement un publiciste libéral, ont plus de sympathie naturelle pour les libéraux modérés que pour le torysme démocratique, lequel épouse la défense des intérêts populaires avec autant de passion que les agitateurs de l’école radicale et attaque avec une égale violence la base reconnue de la propriété. La seule différence entre un tory démocrate et un radical est que ce dernier entend se passer des évêques et des barons, tandis que l’autre veut arriver à ses fins par l’accord et le concours de la chambre haute et de l’église d’Angleterre, convertie en institution socialiste[1]. »

L’église anglicane n’est pas restée sourde à cet appel ; plus d’un révérend s’est enrôlé sous la nouvelle bannière et prêche la sainte croisade. Nous lisons dans des sermons qui ont fait du bruit, et dont quelques-uns ont été prononcés devant les universités d’Oxford et de Cambridge, que l’égalité politique entraîne nécessairement l’abolition graduelle des inégalités sociales, que le peuple ayant été proclamé souverain, il faut le traiter en souverain, qu’il n’est plus permis de l’exclure du banquet de la vie, que l’église est appelée à le soutenir dans ses justes revendications, qu’elle a pour objet le perfectionnement de la société autant que le salut des âmes, que tout en reconnaissant le principe de la propriété individuelle, elle en subordonne l’application à un principe plus élevé qui est le bien-être commun de la famille humaine, qu’il faut réaliser dans ce monde le royaume de Dieu, que le partage des produits du travail, au lieu de dépendre des hasards de la naissance, doit se faire d’un commun accord selon les règles que prescrit l’équité, que le riche qui ne travaille pas n’a pas le droit de manger[2]. L’éloquent vicaire de Granborough, M. Stubbs, qui a prononcé ces discours, propose à la démocratie de conclure un marché avec l’église, qui en s’employant à son service, lui donnera ce qui lui manque, une doctrine, une discipline et un culte.

Ce que font les uns par un emportement de zèle apostolique et de généreuse conviction, les autres le font par calcul, en mêlant l’astuce à l’enthousiasme, et rien n’est plus propre à enfler d’orgueil la démocratie, à lui donner une haute idée d’elle-même, de sa puissance, de son prestige, de l’empire qu’elle exerce dans ce siècle finissant que

  1. The Nineteenth Century, numéro du mois d’août 1884 : the House of lords and the Country, by viscount Lymington.
  2. Christ and Democracy, by Charles William Stubbs, vicar of Granborough. Londres, 1884.