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III

Il nous reste, pour compléter cette étude, à consulter les Lettres inédites publiées, il y a quelques années, par M. Capmas. Ces lettres ont été une surprise charmante pour les amis de Mme de Sévigné. Un aussi grand nombre de fragmens inconnus et considérables, des lettres entières, et, parmi elles, la dernière de toutes ; enfin, une infinité de leçons nouvelles éclaircissant des passages obscurs ou incompréhensibles, c’est là une trouvaille dont on ne saurait trop apprécier le prix. Les dédaigneux diront que nous avions bien assez de lettres comme cela, et qu’une ou deux de plus ne sont pas une affaire. Mais Mme de Sévigné, pour ceux qui la goûtent, n’est pas seulement un auteur, c’est une amie ; on n’en a jamais assez, jamais trop. Représentez-vous une personne distinguée que vous avez aimée, dont la conversation vous amusait et vous réjouissait, et que vous avez perdue ; imaginez que, par un prodige, elle vous soit rendue pendant quelque temps, que vous puissiez jouir encore auprès d’elle de quelques fragmens de conversation, de quelque rayon de son esprit, du son de sa voix, que ne donneriez-vous pas pour une telle fortune ! Telle est l’impression produite par cette publication inattendue. Plus tard, lorsqu’elle aura été incorporée à la Correspondance générale, cette impression s’évanouira ; mais on aura alors l’avantage d’un texte plus complet et plus exact. En attendant, c’est un supplément où nous puisons à notre tour pour enrichir notre travail.

Nous remontons donc à l’année 1672, très peu après le départ de Mme de Grignan pour la Provence. Nous voyons qu’elle craignait un peu l’indiscrétion de sa mère et lui recommandait le secret sur tout ce qu’elle lui dirait dans ses lettres : « Ce que vous me mandez sur le secret est si précisément ce que j’ai toujours senti pour vous, que je n’aurais qu’à vous dire les mêmes paroles. Ne craignez jamais que l’amitié, au lieu de la haine, m’empêche de garder ce que vous me diriez. » Parmi ces affaires dont Mme de Grignan parlait en toute confiance, on sait que l’une des premières fut la querelle avec l’évêque de Marseille. Elle ne tarissait pas sur ce personnage : « Ce que vous me dites sur ce qui le fait parler selon ses désirs et selon ses desseins, sans faire aucune attention ni sur la vérité, ni sur la vraisemblance, est très bien observé. » L’année suivante (1674), il est question d’un voyage de Mme de Grignan à Paris ; mais celle-ci craignait de gêner sa mère (et peut-être aussi de se gêner elle-même) en s’établissant chez elle, en lui prenant