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Malgré la raideur de son caractère, Mme de Grignan trouvait quelquefois des expressions touchantes, quoique un peu recherchées, pour rendre l’affection qu’elle a pour sa mère : « Vous dites que vous aimez votre cœur de voir la façon dont il m’aime ; vraiment, c’est de cela principalement que je l’aime aussi. » Peut-être est-ce encore un mot de Mme de Grignan que sa mère reprend lorsqu’elle lai écrit : « Je vous conjure de m’aimer toujours comme une fille n’a jamais aimé sa mère ; car cela est vrai et je suis étonnée d’avoir été destinée au plaisir et au bonheur de jouir de ce prodige. » À propos de cet amour filial si rare, Mme de Grignan avait eu à subir la sotte comparaison d’un certain abbé Charrier, qui s’était mis au même ton qu’elle en disant qu’il était pour son père ce qu’elle était pour sa mère. Ce rapprochement ridicule et prétentieux, soutenu du reste par un ton de province, avait lieu devant la grande dame et la fine Parisienne. Elle n’avait pu s’empêcher de le marquer. Sa mère nous résume sa lettre en ces termes : « Commençons, ma chère bonne, par l’abbé Charrier. Je l’ai trouvé tout comme vous, ridiculement et orgueilleusement sensible à une chose qui, quand vous l’auriez dite, il n’y a rien au monde de si naturel. Ces doubles, ces conformités, ces surprises en entendant nommer ce qui vous tient le plus au cœur, et voir entrer un grand benêt aussi sot que son père, une Mme de Grignan sauvage à simple tonsure, je vous avoue que je trouverais tout cela insupportable si j’étais à votre place,.. et le ton de mon pauvre abbé est un peu d’une éducation de province. »

Mme de Grignan lisait saint Augustin, et cette lecture lui suggérait des réflexions philosophiques et religieuses : « J’aime tout ce que vous me dites de Dieu, de votre cœur, de saint Augustin. Je relirai ce livre à votre retour ; je l’ai vu au courant. » Dans une autre lettre. Mme de Grignan racontait la malheureuse aventure d’un nommé La Chau noyé dans le Rhône pendant que son frère est sauvé. Elle avait attribué ces rencontres à la Providence, comme le fait d’ordinaire Mme de Sévigné, qui en était heureuse et l’en félicitait. Puis, on bâtissait à Grignan, et la comtesse en plaisantait : « Mon Dieu, que vous étiez plaisante l’autre jour en me parlant du bâtiment de l’archevêque et de ce vieux mur qui dit : Ma compagne fidèle tombe ; tombons avec elle. » On était toujours accablé de charges ; et Mme Sévigné admirait sa fille : « Votre rôle est héroïque et d’un cothurne qui passe mes forces. » Mme de Grignan modifiait la maxime de l’évangile en disant « qu’à chaque jour et à chaque heure suffit son mal (c’est ce que vous y ajoutez.) » Cependant on riait et on s’amusait, malgré tout. On faisait des bouts-rimés ; et le marquis de Sévigné se mettait lui-même de la partie. Il en envoyait un des