Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 65.djvu/405

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jour il devait prendre la direction du gouvernement. Le cortège impérial traversa Pékin en grande pompe ; le jeune empereur était tenu sur les genoux de sa mère, et la première en rang des veuves de Hien-Fung, qualifiée d’impératrice douairière, suivait dans un autre char magnifiquement orné. Le lendemain matin, le prince Kung faisait arrêter dans le palais impérial ceux des régens qui avaient présidé à la cérémonie de la veille, tandis que son frère, le prince Chun, père de l’empereur actuel, à la tête d’une troupe de Tartares, arrêtait le régent, qui ramenait à Pékin le corps de Hien-Fung pour la célébration des funérailles solennelles. Tous les membres du conseil de régence furent dégradés de leurs titres et de leur rang, et condamnés à s’étrangler eux-mêmes avec le cordon de soie. Les deux impératrices, avec lesquelles le prince Kung s’était secrètement entendu, furent proclamées régentes. Pour justifier cette révolution, il fallait un précédent, et l’on n’en trouva point dans l’histoire de la dynastie tartare. Le conseil du Hanlin ou sénat dut remonter jusqu’aux premiers temps de la dynastie des Mings pour découvrir que, l’empereur Chit-Song étant monté sur le trône à l’âge de dix ans, l’administration de l’empire avait été dirigée par les deux impératrices. Ce précédent levait toute objection : il fut seulement décidé que les rapports et les décrets seraient désormais rédigés en mandchou et en chinois, les impératrices ne sachant lire qu’en cette dernière langue. En réalité, la direction des affaires demeura entre les mains du prince Kung, étroitement uni avec son frère et avec le premier ministre Wansiang ; ils eurent soin de combler d’honneurs leurs complices et de remplir de leurs créatures tous les hauts emplois.


IV

Ce coup d’état était nécessaire, car, si le prince Tsaï avait pu conserver le pouvoir et donner suite à son projet de rompre le traité de Pékin, la dynastie tartare aurait probablement été renversée. Lord Elgin, en 1858, avait remonté le Yang-tse jusqu’à Hankow, et il avait pu se convaincre de l’extension que la révolte des Taïpings avait prise. Aussi, dans une des premières dépêches qu’il échangea avec le prince Kung, au lendemain de la bataille de Palikao, il faisait observer que, si les alliés étaient contraints d’attaquer Pékin, la chute de la capitale entraînerait probablement la chute de la dynastie. Le prince Kung crut devoir relever cette insinuation dans sa réponse : « Le passage de votre dépêche, écrivit-il, relatif à l’attaque et à la destruction de la capitale et à la chute de la dynastie, est une observation que les convenances défendent à un sujet d’admettre. Peut-il être séant de la part du ministre anglais de