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On juge aisément de l’impression que des écrits de ce genre, ouvertement colportés, produisaient sur une population ignorante et crédule, dont l’orgueil national et les préjugés étaient froissés. Le zèle trop ardent et les imprudences des missionnaires protestans déterminèrent, dans plusieurs des ports ouverts au commerce, des émeutes dont ces missionnaires furent victimes. Le prince Kung accorda toutes les satisfactions qui lui furent demandées, mais il ne pouvait dissimuler ses inquiétudes. « Si vous pouviez seulement nous débarrasser des missionnaires et de l’opium, la Chine serait bien tranquille, » disait-il, en 1869, à sir Rutherford Alcock, lorsque l’envoyé anglais prit congé de lui pour retourner en Europe. À ce moment, des troubles éclataient dans le Sze-Chuen ; le père Rigaud, plusieurs missionnaires et un grand nombre de chrétiens chinois étaient massacrés. Sur les réclamations de M. de Rochechouart, promesse de satisfaction lui fut faite, et Li-Hung-Chang fut envoyé dans le Sze-Chuen pour rechercher et punir les coupables ; mais comme l’opinion s’accréditait que les troubles du Sze-Chuen étaient le prélude d’un massacre général, M. de Rochechouart jugea utile d’intimider les mandarins par un déploiement de la puissance française, En décembre 1869, il remonta le Yang-tse-Kiang jusqu’au cœur de l’empire avec six bâtimens de guerre. Cette démonstration rendit momentanément la sécurité aux chrétiens, mais elle exaspéra la faction puissante qui était hostile aux Européens, qui divisait déjà la cour, et se flattait d’avoir pour elle le jeune empereur. Le 10 mai 1870, une personne attachée à la légation française à Pékin adressait au supérieur des missions étrangères l’avertissement suivant : « Une dépêche secrète a été envoyée au nom de l’empereur aux principaux mandarins ; en voici le résumé : Pour intimider le gouvernement, les vaisseaux français sont allés jusqu’à Hankow ; peut-être les Anglais suivront-ils cet exemple, et, après eux, d’autres Européens ; ce qui ne peut que troubler l’empire. faut donc que les mandarins se conforment aux règles suivantes : « Ne plus avoir d’égards pour les missionnaires, juger selon les anciennes coutumes les procès des chrétiens (la profession du christianisme était autrefois un crime capital) et empêcher ceux-ci de se multiplier ; sans cela l’empire serait en péril. » A quelques semaines de là, le 21 juin 1870, avaient lieu les effroyables massacres de Tien-Tsin, dans lesquels le consul de France fut tué avec sa femme et quelques autres Français, des sœurs de charité outragées et torturées, et nombre de chrétiens mis à mort sans que le gouverneur et les autorités locales fissent aucun effort pour arrêter ces scènes de sauvagerie. L’émeute de Tien-Tsin fut suivie d’autres massacres dans les provinces et de démonstrations hostiles dans les ports ouverts au commerce. L’effroi s’empara de tous les