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Conservatoire ? Aussi bien, de cette soirée, ne retenons qu’une chose : c’est beaucoup pour le talent d’un homme de se régler sur le génie de sa nation, et s’il ne peut lui ressembler par les grands côtés, de lui ressembler au moins par les petits ; c’est beaucoup en France d’être Français. Poète national, Delavigne en eut le nom ; il le fut, en effet, et non-seulement par ses sentimens chauvins et libéraux, mais par certaines qualités et certains défauts de son esprit et de son art : voilà pourquoi, même après que les Messéniennes sont oubliées, il peut encore être applaudi. Est-ce à dire que sa gloire, engrangée de son vivant, aura beaucoup de ces regains ? Je n’ose le croire ; déjà maintenant, ce n’est pas un regain, mais plutôt une gerbe de glanes. Dieu merci ! les Français ne manquent pas à ce point que ce soit un titre éternel à notre admiration que de l’avoir été n’importe comment. Deux, à la rigueur, suffiraient pour que je me passe de Delavigne : Corneille et Racine. Quelque reprise de Nicomède ou de Bajazet m’aurait consolé de l’oubli où l’on aurait laissé Louis XI, et, s’il faut dire toute ma pensée, je ne vois pas que l’Odéon serve les intérêts de la vie en fardant pour une exposition publique les pommettes de certains morts.

Était-ce un mort que le Vaudeville, lui aussi, exhumait la semaine dernière ? Un Divorce, était-ce le drame en un acte, mêlé de chant, de M. Ancelot ? Il était permis de le craindre, à ne voir partout que des reprises. La Comédie-Française prépare les Pattes de mouche ; les Variétés donnent le Chapeau de paille d’Italie ; le Palais-Royal s’est rouvert avec sa pièce de la saison dernière, le Train de plaisir ; de même, la Porte Saint-Martin avec le Macbeth de M. Richepin ; l’Ambigu a renfloué un Drame au fond de la mer, et Cluny se contente toujours de Trois Femmes pour un mari. Quant au Gymnase, il n’en est qu’à la seconde année du Maître de forges, et sans doute le bail est de trois, six, neuf, pour le moins, à la volonté du preneur, — j’entends du public ; — mais le public ne paraît pas se lasser. En vérité, M. Sarcey nous le dit, nous n’aurons bientôt plus de nouveautés qu’aux Batignolles et à Montmartre. Chaque théâtre aura son Maître de forges et s’y tiendra ; par amour de l’art, on changera le spectacle à chaque exposition universelle, et ce sera tout : un homme qui aura vu dix pièces dans une même salle sera plus que centenaire ; un acteur aura joué cinq rôles avant sa représentation de retraite. Mais, si les temps approchent, ils ne sont pas venus ; le Vaudeville, au moins, nous donne le régal d’une pièce nouvelle : un Divorce est l’œuvre de deux jeunes auteurs, MM. Émile Moreau et George André.

Tout récemment, M. de Lapommeraye, après un historique ingénieux des pièces qui touchent au divorce, concluait que les auteurs dramatiques, en France, réclament le divorce tant que la loi le refuse et le combattent dès qu’elle l’accorde. D’ailleurs, si les suites du mariage indissoluble sont souvent pathétiques et même tragiques, le Français,